Doté d’une affiche qui est, sans conteste, l’une des plus belles qu’il nous ait été donné de voir depuis longtemps, Colorful marque le retour sur les grands écrans français de Keiichi Hara, réalisateur d’un Été avec Coo dont on avait souligné le caractère prometteur en ces pages. Et, heureuse surprise, beaucoup de ces promesses sont tenues !
Avec Colorful, Keiichi Hara, non content de confirmer ce qu’on avait entrevu dans son Été avec Coo, aborde un tout autre univers. Son précédent film était, on s’en souvient, charmant et prometteur, mais très orienté vers un auditoire enfantin. Surprise : Colorful est une œuvre de maturité, autant pour son réalisateur que pour son auditoire.
À première vue, pourtant, le graphisme du film peut décontenancer : ainsi, Keiichi Hara persiste dans une esthétique légèrement grotesque, avec des protagonistes souvent au bord de la caricature. Mais, bien vite, se fait jour la véritable intention du film : il s’agit de se montrer réaliste, de proposer un portrait presque naturaliste de ses personnages. Seul à échapper à cette tendance, le personnage principal, Makoto Kobayashi, voit pourtant ses traits changer, s’affirmer, acquérir une palette d’émotions au fil du récit.
Car Makoto Kobayashi ne sait pas qui il est, tout d’abord parce qu’il n’est pas Makoto Kobayashi. Son corps est habité par un esprit qui, au seuil de l’au-delà, s’est vu proposer une seconde chance : remplacer dans son corps le jeune homme, qui vient de faire une tentative de suicide. Il a six mois pour prouver qu’il mérite la seconde chance qui lui est offerte, sans quoi il repart d’où il vient. Mais, l’entourage du jeune homme est une énigme qu’il va lui falloir résoudre.
Ce à quoi l’esprit changelin est confronté, c’est, tout simplement, la difficulté de passer outre la surface des individus dans sa relation aux autres. Makoto ou pas Makoto, le jeune homme connaît les difficultés de tout un chacun pour exister, contigu aux autres, sans leur faire trop de mal. Bien vite, Keiichi Hara passe outre le postulat de départ – la quête de son héros spirituel – pour saisir à pleine main le véritable enjeu de son film : montrer la difficulté terrible à apprendre à vivre en société.
Ce faisant, il rappelle les questionnements qui surgissent dans les œuvres de Ryu Murakami, auteur dont les héros ne résolvent souvent leurs rapports à la société que dans la violence et la destruction. Keiichi Hara examine ce qu’il peut advenir lorsque une personne ne s’autorise pas le luxe d’une sortie brutale et flamboyante, lorsqu’elle choisit d’affronter le quotidien et d’accepter de prendre les autres en compte. Ainsi, sa galerie de personnages grotesques dépasse vite ce seul aspect, pour acquérir une véritable identité. Dans sa capacité à donner vie à toute une humanité, Keiichi Hara fait merveille – on pense souvent à Isao Takahata, sans que le réalisateur de Colorful en ait pourtant la maîtrise technique.
Produit par Sunrise (un studio généralement associé aux très populaires séries mettant en scène des robots géants) et distribué par la Tōhō, le film ne bénéficie pas des moyens du studio Ghibli, ce qui se ressent malgré tout à l’image. De plus, Keiichi Hara conserve sa tranquillité narrative, une tendance à prendre son temps dans le récit qui, déjà, alourdissait considérablement Un été avec Coo. La conclusion du film, enfin, laisse libre court à la naïveté à la limite de la mièvrerie qu’on avait déjà constatée chez cet auteur.
Mais, qu’à cela ne tienne. Voir un réalisateur, en si peu de temps, être capable de mûrir autant laisse place à toutes les excitations : de grands pas en grands pas dans la bonne direction, il se pourrait que nous soyons en présence, avec Keiichi Hara, d’un futur grand nom du cinéma d’animation.