Les féministes les plus enragées bondiront devant un titre pareil. C’est évidemment le but ! Richard Quine, dont les cinémas Actions n’en finissent pas de redécouvrir l’étonnant sens de l’humour et la finesse de ton (L’Adorable Voisine, L’Inquiétante Dame en noir), signe avec Comment tuer votre femme une comédie bourrée de cynisme misogyne… Ou presque. Car la vérité (laquelle ?) n’est pas où on croit la voir : sous-entendus et faux-semblants pleuvent et nous voici constamment pris au piège d’un esprit absurde qui ne déplaira pas aux maris et encore moins à leurs charmantes épouses. On adore ou… on adore !
Premier degré : les femmes sont des sangsues et les hommes sont bien mieux sans elles. Comme le dit si bien Oscar Wilde, « les célibataires devraient être lourdement taxés, il n’est pas juste que certains hommes soient plus heureux que d’autres ». Une maxime qui convient bien au très british cousin de John Cleese, Charles, valet de monsieur Stanley Ford (Jack Lemmon, hilarant), heureux que son patron se satisfasse d’une vie sans épouse, où tout est si bien réglé, de la température de la douche au verre de martini. Hélas, un jour d’enterrement de vie de garçon (annulée), monsieur Ford s’enivre tant et si bien qu’il met la bague au doigt de la première sortie d’un gros gâteau à la crème. Charles, horrifié, prend ses cliques et ses claques. Stanley découvre une nouvelle vie à deux et dépérit au contact de sa mal-aimée, une splendide Italienne (Virna Lisi, délicieuse) ne parlant pas un mot d’anglais. Comment se débarrasser d’elle ? Stanley imagine alors un plan diabolique en s’aidant de ses nombreux talents, que nous nous refusons à révéler…
L’hilarant avertissement du générique donne le ton : Comment tuer votre femme est une dissertation sur les malheurs qui attendent les pauvres hommes que les femmes auront pris dans leurs filets. Comme l’explique Edna, l’épouse machiavélique de l’avocat de Stanley, les femmes ne sont libres qu’une fois mariées… à condition d’ôter leur liberté à leurs époux. La transformation du héros est on ne peut plus explicite : d’abord sportif, enthousiaste, dynamique, le voici devenu bedonnant, déprimé, hystérique, infantile. Sa femme l’empêche de dormir en regardant des films pour apprendre l’anglais ; l’engraisse avec ses bons petits plats ; change la décoration ; le surveille où qu’il aille et envahit son espace vital… Pas étonnant qu’il aspire à retourner à son monde plein de virilité, où les femmes ont une opinion qui « n’a aucun intérêt » et ne sont qu’un gouffre financier et une entrave à la réalisation du désir masculin : côtoyer des starlettes, s’acheter un bateau, boire de l’alcool… Hum !
Second degré : Comment tuer votre femme n’est évidemment pas une diatribe contre un sexe qui n’a de faible que l’expression. La façon dont Quine filme la plastique de l’ensorcelante Virna Lisi parle d’elle-même : en fait, la principale inquiétude des hommes mariés est d’avoir à affronter des êtres non seulement fascinants, mais également supérieurement intelligents, qui ne s’en laissent pas compter et restent somme toute incompréhensibles pour l’époux moyen. Comment tuer votre femme devient alors une satire féroce de la middle-class américaine, où les hommes tentent comme ils peuvent d’imposer leur prétendue domination dans un carcan imposé par la société. L’avocat de Stanley déclare ainsi qu’il s’est marié car « le mariage, c’est la norme ». Une norme qui, comme toute entrave au libre-arbitre, a effacé la corrélation entre « mariage » et « amour » ou « bonheur ». Comment vivre heureux lorsqu’une épouse devient une menace potentielle ? Quine ironise ainsi sur les clubs masculins, d’où la présence féminine est bannie depuis plus de cent ans et où l’on cache les amours adultères en prétendant que l’époux incriminé est « au gymnase et ne peut être dérangé ». Le pouvoir féminin inquiète : en 1962, la femme n’est peut-être pas encore libre de sa sexualité, mais elle impose depuis des millénaires sa suprématie dans le foyer, qu’elle soit un sex-symbol ou une mégère (non-apprivoisée). La peur primitive de l’homme était le noir ; celle de la société des années 1960 selon Quine : le mariage…
Jouant de son cynisme comme d’un ressort comique imbattable (faire rire tout en prétendant choquer), Quine s’amuse de situations a priori banales en les couvrant de sous-entendus insidieux. La façon dont le valet Charles s’occupe de Stanley tient du dévouement trop extrême pour n’être qu’un simple travail rémunéré : les deux célibataires complices ne se sont-ils pas, d’une certaine façon, créé une vie de couple inavouable ? Leur petit coin de paradis (la maison verdoyante entouré d’un New York envahi du tintamarre des immeubles en construction) ressemble à un nid d’amour que la présence d’une tierce personne ne pourrait que briser… Remarquable condensé de toutes les formes d’humour existantes (du petit détail récurrent au burlesque pur), Comment tuer votre femme n’est ni une charge contre le mariage ni une simple comédie romantique : complexe dans le fond comme dans la forme, voici un film qui laisse la liberté à chacun d’y trouver matière à tomber amoureux ou à se débarrasser de sa moitié, sans culpabilité et autre forme de procès.