Pour son premier long-métrage, Frédéric Mermoud fait cohabiter la noirceur du polar et une histoire d’amour fou entre deux jeunes gens. Il y a là une belle matière, notamment deux beaux tandems, l’un de flics, l’autre de jeunes amants ; dommage que la vigueur et la densité n’agissent que de manière intermittente.
Le genèse du film de Frédéric Mermoud ressemble à celui de sa compatriote suisse Ursula Meier : après quelques courts-métrages remarqués, un premier long bien produit, notamment avec un casting de premier choix, Isabelle Huppert et Olivier Gourmet pour Home, ici Emmanuelle Devos et Gilbert Melki. Si sa compatriote étonnait et faisait plus qu’emporter le morceau avec son histoire de famille misanthrope au bord d’une autoroute désaffectée remise en service ; loin du ratage, Complices présente toutefois un bilan plus mitigé.
On a quelques craintes au début de Complices, quant à son aspect de polar un peu manufacturé. Quelques plans décrivent le cadre urbain, Lyon, entre chien et loup, puis un cadavre gisant au bord du fleuve, la face contre le fond du cours d’eau. Hervé (Gilbert Melki) que l’on découvre dans une fête de famille passe en un coup de fil de cette dernière à l’atroce scène de crime. Avec son acolyte Karine (Emmanuelle Devos), l’enquête débute avec les étapes obligatoires : la famille, les copains, la visite de la chambre de la victime. S’installe alors un double régime narratif : les flics remontent la piste tandis que le spectateur, par un système de flash-back (non signalé), chemine vers les origines du crime. En quelques regards dans un webcafé, Rebecca et Vincent, 18 ans, tombent amoureux. La première sans doute attirée par ce garçon entreprenant qui n’a pas froid aux yeux, le second séduit par cette donzelle un brin délurée issue d’un milieu plutôt favorisé. Vincent vit en fait d’une prostitution auprès de la bonne société, organisée par Thomas. Ce qui, au passage, après La Fille coupée en deux de Claude Chabrol, ferait de Lyon une sorte de capitale cinématographique française du vice.
C’est lors d’une soirée, avec quelques regards de ce Thomas, que l’on comprend que cette union sera la source de sérieux problèmes. Lorsque Vincent apprend à Rebecca qu’il n’est pas agent immobilier freelance, c’est le clash. Mais bientôt elle marche avec lui, c’est-à-dire qu’elle se joint à lui pour satisfaire la libido et les fantasmes de la clientèle, notamment d’un ophtalmo porté sur les coups. C’est sur ce terrain – norme et déviance des désirs – que Complices présente ses meilleurs passages d’un point de vue cinématographique. Empreinte d’un soin naturaliste trop sage et un peu scolaire par ailleurs, le traitement des corps dénudés est marqué par une belle captation de ceux-ci, en étant près d’eux, dans un geste de mise en scène empathique et sensuel. Ce sont plus encore les scènes de prostitution qui présentent davantage de tensions, cela peut passer par un simple regard des deux amant par-dessus l’épaule du client.
Polar et histoire d’amour, le film est aussi celui de la solitude complice du duo de policier, qui agit en contrepoint des amours et désirs brûlants de Rebecca et Vincent. Karine cherche l’âme sœur sur internet, allant de frustrations en consternations. Hervé représente une forme de renoncement et d’inhibition face à la chose sentimentale, comme s’il avait choisi, pour se protéger, d’être tiède et terne. Le système d’allées et venues entre l’enquête et les prémices du meurtre nourrit la posture touchante de ces quadragénaires et forme un portrait aigre-doux du chemin que l’on veut/peut bien donner à une existence. Il est certain que le duo de policiers vit quelque chose par procuration à mesure qu’il éclaire l’intensité de la relation entre Vincent et Rebecca. Si globalement le casting fait merveille (à l’exception du second rôle Thomas, un net cran en dessous), il faut souligner combien le sens de la fantaisie de Gilbert Melki, sa capacité à se placer et à naviguer à l’interstice de la drôlerie et de la gravité, du contrôle et de l’abandon, est un spectacle à lui tout seul.
Si Complices s’avère honorable, on regrette une forme d’intermittence, une indéniable valeur y cohabite avec une certaine banalité. Avec un genre plutôt maltraité, on pourra toujours dire que ce n’est pas si mal, mais on peut penser que Frédéric Mermoud et ses comédiens avaient potentiellement un film plus dense qui leur tendait les bras, notamment en resserrant davantage le récit sur les aspérités et en s’éloignant d’aspects qui ressemblent à s’y méprendre à des figures imposées.