De Louise Wimmer, premier long métrage de fiction de Cyril Mennegun, une image continue de hanter : celle de Corinne Masiero, sidérante interprète du rôle-titre, conduisant sa voiture, sa maison, au son de « Sinnerman » de Nina Simone. Le film, sorti début 2012, était l’une des belles découvertes françaises de l’année : la fiction s’inspirait harmonieusement du documentaire, et Cyril Mennegun donnait à ce splendide portrait de femme en lutte, la stature d’une héroïne libre, décomplexée et inoubliable.
La douleur dans la durée
L’attente pour le second film du cinéaste fut longue, d’autant que l’idée de voir se reformer le tandem de Louise Wimmer était alléchante. Disons-le sans ambages : La Consolation, film âpre et intransigeant, fait l’effet d’une forteresse imprenable, un château fort aux murs si hauts qu’il semble impossible de pouvoir y accéder. L’empathie, la curiosité, la générosité qui caractérisaient Louise Wimmer font place ici à une forme de repli, de complaisance vis-à-vis d’un sujet (le deuil) dont le traitement est si éprouvant qu’il en devient radicalement abscons, jusqu’à l’excès, jusqu’à atteindre un point de rupture dont le film, et le spectateur, ne reviendront jamais.
La consolation, c’est celle que recherche éperdument Daniel, jeune pianiste, après un appel téléphonique lui annonçant le décès d’une mère biologique qu’il croyait déjà morte. À l’autre bout du fil, il y a Françoise, la compagne de cette mère énigmatique. Daniel quitte sa petite amie, délaisse son piano, et part retrouver Françoise, dans une maison chargée de souvenirs. Et c’est à peu près tout : dégraissé jusqu’à l’épure, le scénario ne s’embarrasse d’aucune fioriture psychologique, de dialogues superflus ni même d’un semblant de trame. La volonté, ici, est de mettre en scène, de façon ultra-sensorielle, le chagrin qui recouvre Daniel jusqu’à l’étouffement. Mennegun travaille chaque plan en le faisant durer jusqu’à l’excès, comme s’il souhaitait sciemment mettre à rude épreuve les nerfs du spectateur. Mais pour dire quoi ? Montrer quoi ? Le travail sur le son, strident, violent, agressif, flirte avec une forme d’expérimentation esthétique qui tutoie plus la complaisance maniériste que la recherche formelle. Daniel se noie dans sa douleur, dans son incompréhension, dans un mélange de tristesse infinie et de colère, et chaque plan vient nous le rappeler, radicalement.
Les larmes de non-retour
Aux côtés de tant d’emphase et de gravité autoproclamée, l’émotion semble bannie, comme si elle était, pour le cinéaste, synonyme de vulgarité. Rien, donc, dans La Consolation, ne viendra alléger le film de ses scories formalistes en y insufflant un peu d’humanité, de souffle, de mouvement, de vie. Face à une Corinne Masiero figée, cadenassée, Alexandre Guansé a la lourde charge de donner chair et corps à un personnage impossible : Daniel n’est qu’une silhouette, un prétexte désincarné, plombé par la raideur d’une mise en scène qui renvoie toute forme d’humanité en dehors du cadre, pour ne conserver à l’écran que des figures, des métaphores. Lorsque la consolation arrive enfin, sous la forme d’une crise de larmes tellement sursignifiante qu’elle sonne faux, il est déjà trop tard : le film nous a perdu depuis longtemps. Souhaitons à Cyril Mennegun, dont le talent ne fait aucun doute, de retrouver pour son prochain film une inspiration plus généreuse.