Selon son propre aveu, Soderbergh a voulu rendre hommage aux productions d’Irwin Allen qui, dans les années 1970, ont fait les beaux jours du box office : La Tour infernale, L’Aventure du Poséidon, L’Inévitable Catastrophe… Des stars, un phénomène naturel spectaculaire, des scènes de panique et beaucoup de morts : la recette gagnante. Avec Contagion, Soderbergh réactive le genre en y insufflant le style factuel, froid et distancié qui est de plus en plus sa marque de fabrique depuis Bubble et Girlfriend Experience. À l’inverse du ton ouvertement mélodramatique des productions d’Allen, Contagion enchaîne les séquences comme une succession de dépêches AFP : il s’agit moins ici d’éprouver un minimum d’empathie pour les personnages sacrifiés que de suivre attentivement le cours magistral prodigué par le professeur Soderbergh sur le risque d’extinction pure et simple de la race humaine.
Ici, donc, un virus, qui commence par zigouiller le patient zéro (pauvre Gwyneth Paltrow, joyeusement scalpée pour l’occasion lors d’une sympathique séance d’autopsie) avant de s’étendre, très rapidement, au reste de la population mondiale. Le casting quatre étoiles est principalement utilisé pour donner un peu de glamour au panel INSEE compilé dans le scénario : le citoyen lambda (Matt Damon), les scientifiques (Kate Winslet, Laurence Fishburne, Marion Cotillard), le journaliste (Jude Law), le militaire (Bryan Cranston)… Les acteurs, impeccables, ont tous droit à leur petit moment de bravoure mais c’est Jude Law, comédien sans relief sauf dans les rôles de salauds, qui tire son épingle du jeu. Leur seule présence semble garantir, aux yeux de Soderbergh, le souffle épique et le divertissement dont le film est volontairement avare : pour le cinéaste, la surenchère de moyens et les chausse-trappes scénaristiques des grosses productions d’antan doivent laisser place à une horreur réaliste qui fonctionne précisément parce qu’elle n’a jamais été aussi proche de nous. Sur ce point, le pari est réussi : le moindre éternuement dans la salle de projection devrait susciter quelques rires nerveux.
Selon un schéma connu de tous, puisque ressassé à l’envi par les télés et les journaux à chaque apparition d’un nouveau virus, le film déroule tranquillement sa mécanique paranoïaque avec un minimum d’effets : quelques scènes de pillage, de mouvements de foule, des plans furtifs sur des morts qu’on entasse et des rues désertées. Dans son refus du spectaculaire, Soderbergh parvient occasionnellement à créer un léger malaise, accentué par des décors impersonnels, vaguement inquiétants : hôtels, hôpitaux, salles de conférences, gymnases transformés en espaces de quarantaine… On dirait un peu un épisode d’Urgences filmé par l’Olivier Assayas de Demonlover : le concept est plus excitant que le film lui-même, trop occupé à prendre très au sérieux son pedigree de film first class, et finit par ne susciter guère plus qu’un ennui poli. À tout prendre, le kitsch de La Tour infernale, c’est moins élégant, mais nettement plus fun.