Avec son troisième long-métrage, Anne Le Ny continue son exploration de la mort en prenant le risque, suffisamment rare dans le cinéma français contemporain pour être souligné, de confronter son cinéma à un naturalisme mâtiné de surnaturel. L’entreprise est louable, mais pèche par un schématisme qui ne laisse jamais pleinement l’aura mystérieuse de son film épouser le souffle de la côte bretonne.
Odile, trentenaire parisienne, maîtrise sa petite vie avec fermeté : son amant, son agence de voyages, et cette bicoque du Finistère héritée de sa tante, qu’elle part vider avec entêtement pour la vendre dès que possible… et ainsi se débarrasser des souvenirs qu’elle fait ressurgir et que visiblement, la jeune femme se refuse à affronter. Car il y a une fracture chez ce personnage. Celle d’une enfant qui a vu là mourir son père, et s’est depuis barricadée dans une froideur où l’émotion n’a pas sa place. La première difficulté que s’impose Le Ny est de se fixer à ce personnage froid et distant auquel le spectateur trouve difficilement une accroche et, par conséquent, peine à s’investir pleinement dans ses émois perturbés.
Pour l’interpréter, la réalisatrice a fait appel à Vanessa Paradis, dont 2012 semble l’année du retour au cinéma, après Café de Flore et Je me suis fait tout petit. Le choix est judicieux : avec son corps d’adolescente, l’icône fragile et mélancolique incarne une brisure qu’on sent parfois débordante, notamment dans la scène sur le port où elle se voit refuser une étreinte. Mais elle peine à trouver le ton juste pour la figer dans cet hermétisme volontaire, frôlant occasionnellement avec la caricature.
La faute à un scénario qui, aspirant à explorer toutes les strates de son sujet (la vie par-delà la mort), l’empêche de respirer. Quand Ceux qui restent, son premier film, touchait sur un thème similaire par l’humilité et la cruelle délicatesse qui enrobait d’humanité la brève rencontre de ses deux âmes malheureuses, Cornouaille surligne un peu trop son projet et souffre alors d’un schématisme qui pèse sur chaque scène et le prend au piège. Oui, Odile doit se confronter à ses morts pour cohabiter avec les vivants et réapprendre à (s’)aimer. Alors, tout ici fait signe en ce sens, que la tonalité prenne des accents dramatiques (la résurgence du père décédé, l’avortement), ou comiques (l’oreiller tête de mort, la comptine morbide et les posters de Marilyn Manson de l’ado gothique).
Belle idée pourtant que de condenser tout ceci en un lieu, cette maison bretonne d’abord hermétique, qui peine à se donner, dont les clés sont égarées et passent de main en main sans trouver de propriétaire, aussi abandonnée et impénétrable qu’Odile elle-même. Une maison dont l’âme ne demande qu’à se laisser apprivoiser. Une maison protéiforme, petit havre de paix en bord de mer, bâtisse inquiétante quand la caméra découvre les arbres tordus par le vent qui l’entourent, architecture fantastique emplie de fantômes. L’arrivée dans cette demeure fait pénétrer le surnaturel dans le monde rigide d’Odile ; à peine a‑t-elle passé la porte que le passé ressurgit sous les traits de la fillette qu’elle était et qui se glisse avec elle dans la maison. À mesure que la jeune femme vide ce territoire de l’enfance de ses souvenirs matériels, elle la réinvestit d’une mémoire émotionnelle qui l’oblige à des remises en question, la remplit d’une Odile nouvelle qui se reconstruit sur les lieux même de sa démolition. Va-t-elle vendre la maison ? Va-t-elle garder l’enfant ? Son amant quittera-t-il son épouse ? C’est aussi dans ces multiples questionnements que le film va chercher son aura de mystère, résistant à tout effet fantasmatique dans sa mise en scène : qui est vraiment Loïc ? Une hallucination ou un SDF ? La maison est-elle hantée ? Odile sombre-t-elle dans la folie ? Mais ces interrogations finissent par disperser un film déjà plombé par son ambitieux brassage thématique : surnaturel, solitude, nostalgie, histoire d’amour, difficultés sociales, suspens, enfance, mort et maternité.
Trop occupé à structurer la cohérence de son projet sur la vie, toute la vie, depuis ses bribes (l’enfant que porte Odile) jusqu’à son évanouissement (les morts qui lui rendent visite), Le Ny ne parvient pas à animer ses personnages secondaires de la densité qu’elle avait su leur donner de quelques traits dans ces précédentes réalisations. À peine esquissés, ils sombrent dans une dualité caricaturale qui sied mal à l’épaisseur mystérieuse auquel aspire le film : l’ado gothique mais qui a quand même un bon fond, le brocanteur un peu arnaqueur qui se rêve en humaniste, le notaire qui voudrait ne pas ressembler à ce qu’il est.
Si l’on accordera à Anne Le Ny l’aptitude à résister au pathos, on regrettera que son esquisse nébuleuse, entre rêve et réalité, se transforme en une ébauche à laquelle il manque un peu de souffle. Un souffle qu’exhale pourtant son dernier plan lorsqu’il s’ouvre à la coloration affective du décor à la luminosité changeante qu’offre la verdure côtière balayée par le vent.