En faisant le portrait d’une Algérienne de cinquante ans, en France, mère de famille, travailleuse et peu éduquée, la réalisatrice Fejria Deliba se place à première vue sur le terrain conquis il y a quelques mois par le très délicat et juste film de Philippe Faucon, Fatima. En apparence seulement, car D’une pierre deux coups nage en réalité dans d’autres eaux, loin du travail sur l’intégration et le biculturalisme mené par Faucon depuis des années, bien plus proche de la chronique familiale ou d’une enquête sur la vie de jeune fille d’une femme que ses enfants ne connaissent que comme mère. À la manière du film Des Apaches de Nassim Amaouche, sorti il y a quelques mois, le film chronique une minorité de biais, par une dramaturgie propre, des enjeux familiaux mystérieux, et un travail de reconstitution biographique mené par un personnage extérieur (ici, les onze enfants). Bien qu’un peu maladroit par moments, notamment dans sa recherche d’un ton comique, D’une pierre deux coups n’en demeure pas moins étonnamment touchant et bien pensé.
Une correspondance algérienne
Le drame commence lorsque Zayane reçoit une lettre qui lui annonce les obsèques prochaines d’un certain monsieur Chevallier, un homme qu’elle a connu en Algérie. Malgré les difficultés et le coût du trajet, Zayane laisse sa vie en plan, ignore les appels de ses enfants, oublie même qu’elle doit garder son petit-fils, et quitte sa cité pour la petite ville rurale où l’attend la veuve Chevallier, avec une mystérieuse boîte. La lettre, que Zayane se fait lire par un inconnu dans la rue, déclenche tout, réactive un fil rompu pendant tant d’années : celui d’une correspondance amoureuse secrète, entre une jeune Algérienne au service d’une famille de Pieds-noirs et un homme inconnu – et interdit. Le film nous amène heureusement là où on ne l’attend pas, découvrant l’identité potentielle de cet amant au fur et à mesure qu’il approche Zayane de sa destination, et en filmant en parallèle la découverte fortuite de ce secret par ses enfants. L’artefact de la découverte, joliment trouvé en l’objet d’une correspondance filmique, est sans doute l’atout majeur du film : à la fois autoportrait (littéral) d’une jeune Algérienne dans les années 1950, fenêtre sur une époque, ses tenues, ses décors, et correspondance intime, la petite pellicule dissimulée dans une boîte à chaussures a le charme suranné d’une conversation filmique à l’ère pré-Skype. Cette pellicule permet aux enfants de découvrir une facette cachée de leur mère, de se l’approprier, de l’ignorer ou de la rejeter.
Portrait de famille
Autour de Zayane gravitent les personnages des enfants, nombreux, un peu trop rapidement brossés pour un drame, trop maladroitement amenés pour une comédie. Le film flotte un peu sur ce point, échouant à faire franchement rire malgré une intention claire en ce sens, évitant aussi l’échec d’une comédie grotesque. Le nœud que constitue ce secret de famille est décrit avec justesse, mais est mal exploité, tant et si bien qu’in fine le film manque un peu de consistance. La dramatisation trop légère de l’intrigue a l’avantage d’affilier le film à ces exercices de « portraits délicats », d’éviter la caricature, mais contourne aussi de belles problématiques : l’écho psychologique de cette découverte chez chaque personnage, leurs oppositions, la fixation d’autres nœuds d’intrigue… Il demeure que ce rassemblement d’une famille nombreuse maghrébine, sans fioriture ni exotisme social, qui génère quelques beaux plans et multiplie, par la bande, les points de vue possibles sur l’affaire, reste trop rare au cinéma pour que l’on passe à côté.