Filmer l’attente
Pour son premier long-métrage en tant que réalisatrice, Rachida Brakni investit un lieu hautement cinématographique mais qui reste encore sous-exploité à l’écran : le ventre d’une prison. Non pas du côté des détenus, mais sur le banc des visiteurs. De sas en sas s’intéresse à la trajectoire de plusieurs femmes, venues rendre visites à leurs conjoints, amants, frères ou fils, détenus à la prison de Fleury-Mérogis. L’action débute un jour de canicule, et à mesure que la chaleur devient étouffante, les premières tensions apparaissent et mettent en péril la cohésion du groupe.
De passage, ces femmes sont pourtant traitées comme des prévenues et sont rapidement fouillées, surveillées, emmenées d’une pièce à l’autre, dans un trajet sans fin. L’originalité du film réside dans l’inversion des points de vue : l’enfermement est ici évoqué à travers le parcours des visiteurs. À aucun moment la réalisatrice ne fera apparaître dans le champ un quelconque détenu, comme pour mieux faire ressentir le choc du contact entre cet univers et ceux qui demeurent encore libres. Ce parti pris lui permet d’éviter l’écueil d’une représentation classique ou naturaliste de la vie carcérale, terrain dernièrement foulé avec maladresse par La Taularde d’Audrey Estrougo. C’est dans cette démarche que le film justifie la forme du huis clos, l’espace investi devenant un écho de l’enfermement psychologique de ces femmes, pour lesquelles la vie semble s’être déjà arrêtée.
Limites du huis clos
Ces dernières forment un groupe hétéroclite, composite, dans lequel les classes sociales se confrontent et organisent une véritable micro-société, avec ses leaders, ses camps, ses rivalités. Plus l’accès au parloir s’étire, plus la tension gronde au sein du groupe et fait surgir les rancœurs et règlements de compte. À chaque nouvelle pièce, la nervosité grimpe d’un cran. C’est dans ce mouvement crescendo que le film déploie l’efficacité de son dispositif filmique : l’unité de lieu, l’absence de musique (le film est uniquement rythmé par le bruit des serrures et des fermetures de grilles) décuplent ce sentiment d’oppression et d’exténuation des corps.
Bien que simple et épurée, cette mise en scène se trouve malheureusement vite accablée par une forme de surenchère. Entre les étourdissements, les vertiges, les engueulades et les tentatives d’apaisement, la direction d’acteurs affiche progressivement une tournure théâtrale, qui brise la promesse de justesse et de réalisme du film. Dans le dernier acte, cette dimension atteint son paroxysme avec la disposition quasi linéaire de ces femmes dans la cellule, qui s’affrontent devant l’œil passif et spectateur des gardiens. Cette lourdeur formelle donne alors le sentiment que les tensions n’agissent que comme des artifices, servant à faire vivre davantage des personnages que des situations ou des enjeux forts.
Les affrontements deviennent ainsi répétitifs et sont traités avec exagération, comme s’ils trahissaient à chaque fois la volonté d’en faire une scène clé du film. Il n’empêche, cette atmosphère hystérique réussit à faire étrangement parler les absents, à en faire ressentir la présence. On ressort ainsi de la projection gagné par le sentiment d’avoir côtoyé des détenus sans jamais les voir. Et c’est peut-être en cela que réside la prouesse du film : à faire surgir l’invisible, et restituer une capacité d’imagination propre au cinéma.