Quatre ans après Hors de prix, Pierre Salvadori retrouve Audrey Tautou pour une comédie douce-amère où malentendus et quiproquos conduisent les plus récalcitrants à succomber au charme du miracle amoureux. Servi par une galerie d’acteurs au diapason, De vrais mensonges bénéficie de dialogues ciselés et ne recule jamais devant les apartés mélancoliques. Dommage cependant qu’un certain flottement stylistique vienne parfois enrayer la mécanique du film, a priori parfaite sur le papier.
Émilie (Audrey Tautou) est une jeune femme pimpante et dynamique. Elle est gérante d’un salon de coiffure qu’elle mène tambour battant dans la paisible ville de Sète. Tout irait pour le mieux si elle ne devait pas supporter les douces extravagances de Maddy, sa mère (Nathalie Baye), en dépression depuis que son mari l’a quittée pour une très jeune femme. Un jour, Émilie reçoit une lettre d’amour enflammée mais anonyme. Ne lui accordant aucune importance, il lui vient cependant l’idée de la réutiliser pour redonner confiance en sa mère, en lui faisant croire qu’un homme la courtise secrètement. Mais c’était sans savoir que cette lettre avait été écrite par Jean (Sami Bouajila), son ouvrier surdiplômé, et que cette passation de déclaration allait déclencher un véritable ouragan pour les trois protagonistes, confrontant chacun à ses limites ou contradictions.
Pierre Salvadori, prince discret de la comédie romantique à la française, a imposé sur deux décennies un style bien particulier, où l’humilité des effets n’est pas pour autant synonyme d’une absence de parti-pris. Cinéaste du personnage et des dialogues, celui qui dit s’inspirer de Lubitsch sans avoir la moindre prétention de revendiquer un quelconque héritage (ce serait tout de même très risqué) est un humaniste moraliste qui a toujours pris un plaisir – communicatif – à bousculer l’égoïsme de certains individus arides sur le plan sentimental en les révélant à la beauté et à la pureté d’un amour transi. De plus, là où la majeure partie des comédies romantiques distribue les rôles parfois de manière mécanique et attendue entre les deux sexes, Salvadori fait presque systématiquement des hommes ses personnages les plus fleur-bleues tandis que les femmes, sauf quelques exceptions, ont en sainte horreur les épanchements amoureux. Comme dans Hors de prix où le lunaire Gad Elmaleh participait malgré lui à un jeu de dupes pour tenter de séduire une poule de luxe très avare sur le plan affectif (déjà Audrey Tautou), De vrais mensonges répète le même schéma. Face à Jean, le romantique qui n’ose pas assumer ses sentiments, la piquante Émilie semble se suffire à elle-même, peu réceptive aux manifestations d’amour – ou même d’amitié – que l’on peut lui formuler. Cela donne lieu évidemment à quelques scènes cocasses où la jeune femme ne recule pas devant les répliques acerbes, témoignagne d’une absence d’empathie pour ceux qui l’entourent. Même avec sa mère en détresse, toute initiative révèle avant tout une volonté de se décharger d’un poids – même si la visée n’est que du court-terme – quitte à mépriser la confiance qu’on lui accorde.
La recette du film est efficace et la sauce prend assez rapidement, en partie grâce à une galerie de seconds rôles bien écrits et excellemment interprétés (de la collaboratrice éberluée à la jeune apprentie déphasée) qui insufflent au film une légèreté pétillante qui faisait déjà le charme des précédents films de Salvadori. Mais là où le film trouve sa plus jolie force, c’est certainement lorsqu’il assume frontalement la douce mélancolie de ses personnages. Au centre de ce système, la mère, interprétée par une Nathalie Baye encore une fois au diapason, fait doucement sortir le film d’un comique de situation bien huilé pour l’emmener vers d’autres terres plus inhabituelles, où solitude et délaissement ne riment plus avec comédie. L’humiliation dont elle fait l’objet, et qui l’amènera à retourner le stratagème contre sa fille qui en est l’investigatrice, devient le moteur résolument positif d’un film qu’on aurait aisément imaginé plus superficiel et anecdotique. Si le réalisateur n’échoue pas – loin de là – dans cette partition douce-amère, ses limites en tant que metteur en scène ne lui permettent peut-être pas de trouver un véritable équilibre entre les deux facettes de De vrais mensonges, condamnant le film à quelques moments de flottement plutôt malvenus. Pire, face à la profondeur que Nathalie Baye insuffle à son personnage, Audrey Tautou ne semble pas toujours savoir ce que l’on attend d’elle et ne parvient que trop rarement à jouer autre chose que la gentille garce dépassée par les événements. Si Salvadori prouve une nouvelle fois qu’il est un scénariste et un dialoguiste indispensable dans le paysage de la comédie française, il gagnerait certainement à oser davantage de propositions formelles, à l’instar de cette scène, probablement la plus belle du film, où la mère découvre, dissimulée derrière un drap-écran-de-cinéma, les subterfuges dont elle a été victime depuis le début, telle une spectatrice qui regarderait, impuissante, l’envers de son existence sur la toile blanche d’une salle obscure.