Récompensé par la Montgolfière d’or du Festival des 3 Continents 2016, Les Derniers Jours d’une ville est le premier long métrage du réalisateur égyptien Tamer el-Saïd, né au Caire en 1972. Auteur auparavant de plusieurs courts métrages de fiction et de deux documentaires, celui-ci semble avoir voulu synthétiser son désir de cinéma dans ce film qui oscille entre documentaire et fiction – la plupart des protagonistes jouant leur propre rôle (ou un rôle proche de ce qu’ils sont) à l’écran.
Récit en points de suspension
La ville dont il est question dans le titre n’est autre que Le Caire, dont Tamer el-Saïd s’attache à capter l’atmosphère à un moment charnière de son histoire, le film ayant été tourné – dans des conditions matérielles précaires – entre fin 2008 et fin 2010, quelques semaines avant les grandes manifestations populaires de la place Tahrir qui ont entraîné la chute d’Hosni Moubarak. Sur la toile de fond, à la fois majestueuse et effervescente, offerte par la capitale égyptienne se déploie un récit en points de suspension, au centre duquel se trouve Khalid, un jeune réalisateur égyptien – interprété par Khalid Abdalla – lui-même saisi à un moment charnière de son existence. Son père vient de mourir, sa mère est à l’hôpital sans guère d’espoir d’en sortir, sa compagne le quitte (et quitte le pays), il cherche un nouvel appartement sans parvenir à le trouver et travaille sur un film sans avancer beaucoup…
Ainsi suivons-nous ce personnage en quête de lui-même (et d’un sens à sa vie) au fil de ses pérégrinations dans la ville, qui l’amènent à croiser notamment trois amis de passage (deux Irakiens – dont un s’est exilé à Berlin – et un Libanais), cinéastes eux aussi, et à partager avec eux ses questionnements sur la vie et le cinéma. Tourné en grande partie caméra à l’épaule, le film – démarrant par un plan général du Caire au petit matin – alterne séquences centrées sur Khalid se déplaçant dans la ville, de jour comme de nuit, ou travaillant sur son film et scènes de rencontres avec d’autres protagonistes. En écho au récit nous parviennent à intervalles réguliers, via des émissions d’actualité à la radio ou à la télévision, des nouvelles du Proche et du Moyen-Orient. Aspirant à traduire des tourments intérieurs tout en témoignant de l’état du monde (ou, à tout le moins, d’une partie du monde), le film procède d’une ambition certaine. C’est évidemment appréciable, a fortiori pour un premier long métrage, mais ne constitue pas un gage de qualité en soi.
Dispositif sans relief
Peut-être Tamer el-Saïd a‑t-il été dépassé par le projet et par le matériau accumulé au long du tournage ? En tout cas, à vouloir trop embrasser, il semble le plus souvent mal étreindre. Fondé sur l’entrelacement de l’intime et du collectif avec mise en abîme du film en train de se faire, le dispositif – qui évoque Abbas Kiarostami – n’apporte ici ni relief dramatique ni dynamique dialectique, faute d’un regard à l’acuité pénétrante et d’une construction suffisamment rigoureuse. Visant à donner la sensation de captation sur le vif, la caméra semble la plupart du temps flotter sans réussir à traduire un véritable point de vue. De la même manière, entre plans qui paraissent trop courts et scènes trop longues, le film s’équilibre mal et peine à trouver son juste rythme. Par ailleurs, le cinéaste cherche trop souvent à dire en mots, notamment via les conversations entre les quatre amis, ce qu’il ne parvient pas – ou pas assez – à exprimer en plans. Quant aux personnages, ils ne s’incarnent pas vraiment, demeurant à l’état d’ombres ou de figures archétypales : ils représentent plus qu’ils ne sont.
Trop discursif et évasif, le film donne l’impression, fatalement rédhibitoire, de se disperser et de se diluer au fur et à mesure de la projection. Il en résulte que le parfum de mélancolie exhalé par le titre, s’évaporant lentement, ne se communique guère au film, qui apparaît à l’arrivée assez atone. Désappointé, le spectateur n’a plus dès lors d’autre recours que d’imaginer ce qu’aurait pu être le film portant ce titre crépusculaire – Les Derniers Jours d’une ville – aux mille et une promesses.