Six ans après le charmant Adieu Gary, Nassim Amaouche confirme avec ce second long métrage son talent pour emmener l’imagination sur le territoire d’une réalité populaire légèrement réinventée. Ici, cela tient pour beaucoup à sa propre présence devant la caméra, dans un rôle destiné à l’origine à Yasmine Belmadi, un de ses acteurs d’Adieu Gary, hélas mort dans un accident de la route. Son personnage, Samir (le même prénom que pour celui de Belmadi dans le film précédent…), assiste à l’enterrement de sa mère dans un cimetière parisien, quand il remarque un homme également présent, mais loin de tous, et qui lui est vaguement familier : on apprendra qu’il s’agit de son propre père, dont sa mère l’a toujours tenu éloigné. Il décide de le prendre en filature, ce qui le mène à un bar de Belleville, « Chez Djafar », siège de la communauté kabyle locale dont il est issu mais avec laquelle sa mère et lui ont depuis longtemps coupé leurs liens. Cette communauté, le film s’est ouvert en la présentant sous une forme d’hilarant pseudo-reportage relatant avec voix-off les us, coutumes et magouilles d’un peuple décrit comme aussi fier que malicieux — avec une légèreté non dénuée de dérision envers son propre dispositif, ce qui met d’emblée à distance toute crainte de pesanteur, que ce soit dans le réalisme sociologique ou dans la comédie pittoresque.
Ceux qui cherchent
On le devine : la communauté est avant tout un motif, la promesse de la découverte et de la complétude de soi, de l’assurance de ne pas venir de nulle part, à laquelle le solitaire et prudent Samir tend sans l’assumer vraiment. Il n’est cependant pas le seul à tendre à moins de solitude. Non loin de lui, un petit garçon souffre de l’absence d’un père, tandis que sa mère (Laetitia Casta) cherche à mener sa vie sans la partager avec un homme. Le montage organise assez joliment le va-et-vient entre ces âmes en peine : parfois un son, une musique, une image sur laquelle se ferme une scène ouvre la suivante sous une autre forme, comme un écho ou peut-être un mauvais décalque, comme si les aspirations d’un de ces personnages figuraient aussi dans l’univers d’un autre, soit dans ses propres aspirations soit dans son réel. Ainsi pressent-on plus encore que ces trois sujets de désirs sont appelés à se rencontrer.
L’homme qui était là
Samir, au centre du récit, l’habite de sa présence, presque malgré lui, et c’est ce « malgré » qui rend son aventure aussi savoureuse que touchante. On s’attache au faciès « keatonien », sans gras ni sourire ni éclat, que lui confère Amaouche acteur, quand bien même il ne suivrait pas le grand Buster dans son art des cascades, il aurait même tendance à les éviter. Mais l’appel qui l’invite à embrasser ses racines est trop malin pour qu’il s’y dérobe, surtout quand il a la voix de l’excellent André Dussollier (qui joue le conseiller juridique du père) comme intermédiaire : on ne lui demande pas grand-chose, seulement d’être là où on l’attend, lui le fils aîné d’un chef de la communauté, comme si son exclusion passée, qu’on aurait pu considérer comme un drame, n’était finalement qu’un détail oubliable. Alors, malgré quelques signes d’incompréhension face à d’étranges coutumes des siens (déconcertant, ce conciliabule aux allures de corruption dans un hammam…), il se montre néanmoins là, dresse son air inquiet dans le tableau collectif, y existe non par son activité flagrante mais par des initiatives qu’il a concédées parce qu’il sait qu’il ne peut échapper longtemps à cette part de lui-même. Rien d’édifiant ni de lénifiant dans ce conte d’un homme renouant avec ses origines : Amaouche n’en fait pas la récompense d’un individu qui se serait battu pour l’obtenir, mais le résultat d’une inclination qui guette tout être social et à laquelle on choisit de céder ou non. Derrière le sens du léger décalage du cinéaste, on trouve une façon discrète de mettre en scène un procédé plus souterrain qu’il n’y paraît. Discrétion qui l’honore d’autant plus que c’est sa façon à lui de partager en toute sincérité la part humaine de son conte, et qu’on peut encore identifier à la fin du film, happy-end bien nuancé, mais où il est clair que ce qui meut désormais Samir justifie son choix de s’être laissé guider.