Después de la Revolución s’inscrit à la fois dans la volonté de Vincent Dieutre de réaliser son journal filmé, comme dans Mon voyage d’hiver en 2003, et dans la série des « films villes » tels que Bologna centrale (2004) qui sort simultanément dans un coffret de quatre DVD aux éditions Shellac. Profitant d’un voyage à Buenos Aires, Dieutre met en parallèle l’image qu’il se fait d’une ville longtemps fantasmée avec la perception des argentins qui l’ont, pour des raisons politiques, connue, quittée, puis retrouvée. Ces hésitations entre l’intime et le politique donnent au film une forme de neutralité qui rend difficile de se sentir concerné par ce que l’on voit.
Un match de foot en salle, les rues de Buenos Aires, des scènes d’ébats sexuels : les plans fixes qu’affectionne Vincent Dieutre semblent tous chargés de la même indifférence et finissent par tous se valoir. De même, la disjonction fréquente entre le son et l’image, ou bien l’extinction progressive de la voix off dans un fondu sonore semblent signifier que la parole et le silence se valent, que ce qui est dit n’a pas tellement d’importance. Profitant d’un séminaire dispensé à des étudiants argentins, le cinéaste filme sous forme de journal à la première personne son appréhension de la ville mythique qu’il avait jusque là abordée uniquement par l’imagination, à travers la littérature, les événements politiques, et les personnalités des Argentins exilés à Paris qu’il a côtoyés dans les années soixante-dix et quatre-vingt.
Sous couvert d’analyser les bouleversements d’une société qui se libère après avoir été corsetée par la dictature, Vincent Dieutre évoque l’évolution des mœurs dans la communauté homosexuelle à travers ses retrouvailles avec Hugo. Cet ancien amant rencontré à Paris verse désormais dans les pratiques sado-masochistes, et fait de l’amour un acte ritualisé, préparé avec une telle minutie que Dieutre décide d’intégrer à son film leurs rendez-vous galants. Le cinéaste raconte qu’il a filmé sur la durée, « caméra au poing », ses ébats avec Hugo, avant de confier à sa monteuse la tâche épineuse de dérusher et d’ordonnancer tout un matériau brut. La proximité de la caméra, ses mouvements saccadés, le faible éclairage donnent à ces séquences sexuelles une dimension abstraite où l’impudeur de la forme ne pointe que par instants. Mais là où les corps indéchiffrables du début d’Hiroshima mon amour d’Alain Resnais révèlent une énigmatique beauté, c’est plutôt l’indifférence polie qu’inspire la vacuité des séquences montrant les corps de Vincent et Hugo.
Tout au long du film, le spectateur est dominé par le sentiment d’être mis à l’écart, par l’impression principale de se trouver là par erreur. Ainsi, lorsque la voix off interroge : « Ai-je bien fait de me laisser embrasser par Stéphane ?», on se prend à penser qu’on ne sait pas qui est cet individu, ni ce qu’il fait à Buenos Aires, ni s’il est souhaitable d’être embrassé par lui ou non. On se dit surtout que cette question, le cinéaste se la pose à lui-même, et qu’elle ne nous concerne aucunement. Vincent et le sado-masochiste, Vincent et le vieux psychanalyste tendre et dépressif, Vincent et Stéphane : le film est construit autour du papillonnement d’un homme qui s’abandonne passivement à toutes les aventures qui lui sont offertes dans la capitale argentine. À mesure que le cinéaste monologue sur ses relations avec divers partenaires, il semble oublier de construire l’indispensable relation avec le destinataire du film, qui, de son côté, se demande pourquoi continuer à être spectateur d’images qui assurément, ne le regardent pas.