Dikkenek est, paraît-il, le terme belge pour « grande gueule excentrique au parler pittoresque ». Ce qui paraît une bonne description du personnage de J.C., qui prétend aider son meilleur copain Stef, un type sympa mais pas très entreprenant, à trouver le Grand Amour. Un point de départ assez niais, mais qui, entre les mains d’un cinéaste à peu près conscient de son art, pourrait donner lieu à des développements intéressants. Ici, elle sert d’amorce et de conclusion à un film qui affiche l’ambition de nous présenter un panel de personnages et d’histoires entremêlées, tous plus loufoques les uns que les autres. Mais quand l’excentricité de l’ensemble se révèle au mieux très convenue, au pire révélatrice d’une vision du monde complaisamment vulgaire, cette histoire à l’eau de rose qui en forme la colonne vertébrale apparaît comme un des moyens sournois employés pour faire passer la pilule de la bêtise crasse de l’entreprise.
Les traits humoristiques et prétendument décalés ont un goût de déjà-vu et de conventionnel… dans le meilleur des cas. Le gag culinaire des « fricadelles » ne surprendra que ceux qui n’ont jamais entendu parler des comiques du Splendid. Quant au grain de folie des personnages, il est étonnant de voir à quel point la plupart des excentricités décrites ici reprennent en réalité des clichés trop attendus : le directeur d’abattoirs pervers, la commissaire de police lesbienne et forcément imbuvable avec les mecs, la pauvre petite fille de riches, etc. Le seul personnage vraiment hors normes, voire subversif, est celui de l’institutrice, objet des sentiments de Stef : grande consommatrice de cannabis, son comportement fait vivre un cauchemar à ses élèves. Ce personnage n’est pas sans créer un certain malaise, inattendu dans cette comédie, et qui, exploité plus avant, aurait pu tirer le film vers des directions autrement plus intéressantes…
« Relents rétrogrades »
Au fil de l’accumulation des personnages et de leurs rencontres fortuites, le film exhale un parfum de plus en plus nauséabond. Van Hoofstadt affiche la prétention de donner un portrait exhaustif du dikkenek, et de la Belgique profonde dans le même mouvement ; ce qui s’étend naturellement à un portrait parcellaire de l’humanité, à une certaine vision du monde. Or la vision du monde d’Olivier Van Hoofstadt pue. Consacrer tout un film à résumer le Belge moyen à un accent à couper au couteau, quelques expressions locales typiques et des accessoires vintage, ce n’est rien d’autre que faire son fonds de commerce de clichés balourds frôlant la xénophobie — et le fait que le réalisateur soit belge lui-même n’excuse rien. Surtout, alors qu’un portrait de groupe d’excentriques pourrait faire se dégager un certain nombre d’individualités, les comportements des personnages amènent au contraire à une discrimination très nette, qu’on pourrait gentiment qualifier de sexiste. Ainsi, les hommes sont résumés à des trognes pittoresques jusqu’au grotesque, des beaufs bêtes mais pas méchants ; les femmes, elles, se divisent grosso modo entre les hystériques incontrôlables (telle la commissaire lesbienne) et celles qui ne demandent qu’à être possédées… Le pire est sans doute la complaisance avec laquelle le cinéaste refuse d’introduire un point de vue alternatif à ce tableau douteux, préférant se mettre le spectateur dans sa poche et lui faire partager dans la bonne humeur sa vision glauque de l’humanité. L’humour pachydermique et les clichés introduisent un second degré hypocrite et bien pratique en rendant les personnages plutôt sympathiques. Et la réalisation, quand elle ne se confine pas dans l’indigence, se compromet dans des fautes de goût propre à ce type de comédie lourdingue, filmant par exemple des scènes de sexe débridées du point de vue d’un voyeur égrillard…
La vilenie ne s’arrête pas là. Pour fédérer tout ce beau monde et le public dans un grand élan cathartique, et ainsi faire accepter ces relents rétrogrades au plus grand nombre, les auteurs ont même créé un personnage-défouloir, nommé Greg, dont la seule fonction sera de se faire insulter, tabasser et humilier par le reste de la troupe, et surtout de mériter son sort. Il est vrai que Greg n’a pas grand-chose pour lui : il est blond comme les blés, frime de façon agressive avec sa voiture de sport rouge, ses lunettes noires et son portable toujours à l’oreille jusque dans les salles de cinéma, et en plus il n’a pas l’accent ! Finalement, après le grand timide Stef, c’est le personnage le plus banal du film, et dans ce concert d’hystérie hypocritement « décalée », il fait tache, ce qui en fait une cible idéale pour tous les sévices, avec la complicité du spectateur, puisqu’il s’agit bien d’une comédie, n’est-ce pas ? On a rarement vu pire méthode de racolage, fondée sur la bassesse des instincts. Et moraliste avec ça : à la fin, Greg se fera gentiment expliquer qu’il ne peut s’en prendre qu’à lui-même pour ses problèmes, tandis que l’institutrice touchée par la grâce de l’Amour se lance dans une campagne de prévention contre le cannabis dans sa classe…
« Objet gentil »
On note que Dikkenek est produit par la société EuropaCorp, et la campagne promotionnelle ne manque pas de nous rappeler que le film est parrainé par le patron de la boîte, Luc Besson. Pourquoi ne sommes-nous pas étonnés ? La réalisation, oscillant entre une platitude absolue et des trouvailles visuelles d’un ridicule désolant (comme ces interrogatoires filmés en champs-contrechamps frontaux au montage criard) pourrait achever d’apparenter Olivier Van Hoofstadt à la cohorte de tâcherons du même tonneau ayant par le passé œuvré sur des « grosses rigolades » bessonniennes, tels Gérard Pirès ou Gérard Krawczyk — à ceci près que contrairement aux exécutants susnommés, le réalisateur belge est bien aux commandes ici.
Plus généralement, la vision de Dikkenek nous ramène cinq à dix ans en arrière, aux débuts d’EuropaCorp pour laquelle Besson écrivait la plupart des scénarios. Aucune de celles-ci ne brillait par sa subtilité, mais ce sont ses comédies — mâtinées ou non avec d’autres genres — qui en fixaient incontestablement le plancher. De la série des Taxi à Fanfan la Tulipe, en passant par Wasabi et 15 août (tiens, pas écrit par Besson, celui-là), la recette comique de la maison est peu ou prou invariable, destinée à un public qu’on prend visiblement pour un ramassis de beaufs qu’il faut brosser dans le sens du poil : humour de cinquante tonnes, clichés xénophobes et/ou sexistes, réalisation indigente traversée de saillies visuelles plus pathétiques que bluffantes. Pourtant fruit de l’imagination d’un jeune cinéaste autodidacte belge, Dikkenek s’apparente de façon surprenante à cette classe de films qu’on aurait souhaités à jamais ringardisés. Sous son attirail de film culte autoproclamé, on tient bien un rejeton belge de cette veine, un des plus exécrables produits jamais patronnés par l’auteur du Grand Bleu, celui-là même pour qui un film n’est, dans le texte, qu’un « objet gentil»…