Le principe même d’un film de genre, vendu comme tel durant sa promotion, est de constituer un refuge confortable pour un public-cible. Celui-ci regardera le film pour le plaisir de retrouver des personnages, des situations, des lieux récurrents, en connaissant à l’avance l’issue du récit. La liste d’ingrédients est toujours plus ou moins la même, mais comme le cuisinier change, le résultat de la recette s’en trouve modifié. Et cette fois-ci, le plat manque amèrement de saveur… Dès les premières séquences, Donne-moi ta main s’avère être une comédie romantique poussive et particulièrement conservatrice.
Anna, décoratrice d’intérieur pour la vente immobilière, vit à Boston avec son petit ami cardiologue. Ensemble ils ont planifié l’acquisition d’un luxueux appartement. Seule ombre au tableau matérialiste de la jeune femme dynamique : son cher et tendre ne semble pas avoir la bonne idée de la demander en mariage. Comme Monsieur se rend à Dublin pour affaires, Mademoiselle décide de le surprendre en l’y rejoignant. En cette année bissextile (« leap year » en anglais, soit le titre original du film), Anna demandera son ami en mariage le 29 février, puisqu’une vieille tradition irlandaise autorise les femmes à prendre les devants ce jour-là. À notre époque, une femme a‑t-elle besoin d’un tel subterfuge si elle désire s’engager ? Le mariage serait-il une nouvelle forme d’hystérie chez la femme moderne, effrayée par sa propre indépendance et obsédée par un besoin de contrôle matériel ?… Soit, acceptons un instant que l’idée d’Anna soit mignonne et romantique, même s’il est peu aisé de comprendre ses efforts pour un médecin qui semble avoir avalé son stéthoscope de travers (de telle sorte que son rival paraîtra forcément attirant). À partir du moment où elle traverse l’Atlantique, Anna se trouve dans une galère sans fin : son avion est détourné sur un autre aéroport, puis son ferry est bloqué par la tempête… Dans la cambrousse irlandaise, elle fait la connaissance de Declan, un beau mais rustre patron de pub qui accepte de la conduire en voiture jusqu’à Dublin, contre une rétribution financière substantielle. Les embûches seront nombreuses jusqu’à la capitale irlandaise et les deux voyageurs aux modes de vie antagonistes devront apprendre à se tolérer l’un l’autre. De leurs différends naîtra bien sûr un amour sincère. Ainsi Anna ouvrira les yeux sur son existence superficielle et Declan reprendra en main un destin brisé par un ancien chagrin d’amour.
Bref, bienvenue au pays des Bisounours ! Dans le rôle de l’agaçante Anna, qu’on finit par prendre en pitié d’être si butée et aveugle, on retrouve Mademoiselle-Amy-Disney-Adams pour un nouveau numéro de belle aux bois dans le style d’Il était une fois (Kevin Lima, 2007), la robe de princesse en moins. Donne-moi ta main multiplie les clichés éculés sur l’Irlande et rejoue le conflit « civilization/wilderness » dans une version transatlantique, entre une bourgeoise de l’Est américain difficile à apprécier et un ermite solitaire de la campagne, pas aussi sexy que sur l’affiche du film. Sans parvenir à arracher davantage qu’un sourire, Donne-moi ta main suit sagement le schéma narratif de la comédie du remariage. Deux êtres que tout oppose vont surmonter ensemble un certain nombre d’épreuves, qui vont les rapprocher et leur ouvrir les yeux sur un amour qu’ils ne pourront nier, quels que soient les obstacles sociaux, moraux ou familiaux s’opposant à leur union finale. Hollywood produit depuis longtemps un nombre conséquent de films de ce genre, avec un succès aléatoire.
Le film d’Anand Tucker, apparemment très anecdotique dans cette production pléthorique, retient cependant l’attention à cause de ses étranges et nombreuses similitudes avec It Happened One Night (Frank Capra, 1934). Au fil des séquences, il devient difficile de ne pas le considérer comme un libre remake ou un fade ersatz de cette comédie romantique truculente où Ellie, la fille d’un millionnaire (Claudette Colbert), fuyait Miami pour rejoindre à New York celui qu’elle entendait épouser contre l’avis familial. Son chemin devait croiser celui d’un journaliste fauché (Clark Gable), sensible à la récompense promise par le père de la jeune rebelle. Leur périple en auto-stop les conduisait (évidemment) à passer d’une franche antipathie à une affection difficile à réfréner. Comme Anna dans Donne-moi ta main, Ellie devait choisir entre son petit ami et son compagnon de route. Outre leur ressemblance criante dans la caractérisation des personnages, les deux films comportent un certain nombre de scènes quasiment identiques, se succédant dans un ordre similaire : problèmes de transports à répétition, discussion complice dans une nature sauvage, dispute liée au manque d’argent pour poursuivre le voyage, mise en doute de la sincérité d’un protagoniste masculin attiré par l’appât du gain…Le point culminant de l’homonomie des deux films réside dans la séquence nocturne de l’auberge de campagne, où les deux compagnons d’infortune sont contraints de partager une chambre, avec toute la tension sexuelle que cette situation peut comporter. Dans It Happened One Night, code de la censure oblige, un drap servait de « mur de Jericho » pour séparer fragilement les deux amoureux en devenir, se déshabillant chacun dans une intimité réduite. Dans la version 2010, Anna et Declan partagent chastement un même lit. Mais un rideau sépare leur chambre d’une salle de douche exiguë. Rendu transparent par la lumière, le tissu permet à l’un de voir la silhouette nue de l’autre se dessiner en contre-jour. Le dispositif scénique demeure donc proche : la finesse d’un drap est présentée comme l’ultime barrière d’une passion sur le point d’exploser et de remettre en cause tous les projets d’avenir des personnages. La ressemblance du film d’Anand Tucker avec celui de Frank Capra dessert le premier, qui ne parvient pas à être aussi drôle et moderne que son évident modèle. Alors que le personnage d’Ellie parcourait des milliers de kilomètres pour entreprendre un mariage lui permettant de se libérer du carcan familial, Anna choisit d’enterrer son indépendance dans un mariage d’apparat avec un cardiologue sans cœur. La démarche d’Ellie relevait d’une volonté d’émancipation que celle d’Anna vient finalement remettre en cause… La rousse working girl ouvrira bien tardivement les yeux sur l’absurdité de son projet, pour adopter un mode de vie plus spontané et moins formaté en terre irlandaise.
En somme, Donne-moi ta main aurait pu passer directement par la case DVD sans que nous n’en ressentions aucune frustration cinéphilique. En salles, il séduira peut-être les jeunes fans françaises d’Hannah Montana et de Justin Bieber, mais il est peu probable qu’il réjouisse un public de plus de douze ans, même au sein des amateurs de chick flick.