Dans ce premier long-métrage, Antony Cordier explore les limites corporelles, les différences sociales, la notion de sacrifice. Parallèle, comparaison, dialectique, on ne saurait dire tellement les scènes se succèdent dans une narration qui ne décolle pas du premier degré. Au sortir, pas de quoi s’accrocher à la chronique contemporaine de l’adolescence, pas même à celle d’une critique sociale.
Le film débute et se clôture avec les réflexions en voix off du jeune Clément qui découvre les limites corporelles, sociales et individuelles au seuil du Bac, situation diégétique signifiant le passage à l’âge adulte. « On ne change pas, on se transforme » résonne alors comme la morale de l’histoire. Or Clément a beaucoup perdu et rien gagné, il régresse et change même du tout au tout. D’un sportif sain, il devient fumeur empesé dans son corps ; d’amoureux naïf, il frappe son amie qui finit par le fuir ; d’athlète rayonnant de victoire, il pleure sa perte de confiance. Sa chute ira-t-elle jusqu’à devenir alcoolique comme son père ? Voilà pour les douches froides du héros.
C’est le corps, thématique principale du film qui devrait nous conduire au sens. S’il en est. Les corps à corps sont peut-être filmés dans tous leurs états mais toujours à distance par des plans larges évitant l’intimisme. Le corps récuré au gel douche dans les douches au vestiaire, les muscles exaltés et transpirants pendant les combats, les corps enlacés et indifférenciés dans les scènes d’amour. Il ne semble pas y avoir de différence pour Antony Cordier entre corps sexuel et corps sportif, les deux sont en lutte comme le montre la scène du trio pendant lequel Clément partage son amie Vanessa avec son coéquipier judoka, Michael. Lorsqu’elle vient les rejoindre sur le tatami, la lutte sportive dérive naturellement vers une lutte sexuelle. Le lendemain, Vanessa confesse à Clément qu’elle a des courbatures, « ce ne sont pas les mêmes muscles qui travaillent », lui rétorque-t-il en connaisseur. Voilà qui est dit, sport et sexe même combat. Quoi d’autre ? Pas grand-chose en fait.
Sur fond de cette histoire amoureuse d’adolescent – ou est-ce l’histoire d’amour qui est le décor ? – se dresse le climat social, là encore par trop manichéen. Les parents de Clément, pauvres de leur état, sont réduits à faire des économies d’électricité qui valent quelques scènes amusantes comme celles où l’admirable Florence Thomassin (Annie) se sèche les cheveux la tête dans le four après avoir retiré le cake. L’argent sera donc le déclencheur de l’éloignement de Clément et de Vanessa. C’est Michael le riche qui peut avancer l’argent de la chambre d’hôtel pour une nouvelle partie à trois, celle-ci manquée.
Le sacrifice qu’opère Clément en laissant seuls Vanessa et Michael ne le conduit ni à une grandeur d’âme, ni même à une réflexion sur soi. Démuni face à la liberté sexuelle de Vanessa qui est celle qui n’attend pas, Clément s’enferme dans le mutisme et la solitude. Le jeune garçon n’est pas prêt à concevoir les enjeux du partage sexuel, de la confiance en l’autre et de la volonté de possession. Même si l’absence de sens demeure consubstantielle à l’époque de l’adolescence, le réalisateur tient si bien à distance le spectateur qu’il ne lui donne pas même la possibilité d’entamer une réflexion sur l’âge ingrat qu’il a, lui, déjà bien quitté. On aimerait penser aux enjeux de la sexualité, de l’individualité (comme le montrait par exemple Les Corps impatients) mais ces notions sont si bien compartimentées, si bien survolées qu’il ne reste que la banalité d’un seul et unique premier degré de l’histoire. Dualité manichéenne du corps sportif et sexuel, différenciation sociale entre « smicards » et « bourgeois », deux sujets effleurés sans qu’il y ait rencontre de sens.
Quelques scènes illustrent pourtant une finesse des détails psychologiques ou sociaux mais opérant par petites touches timides, elles ne réussissent pas à élever la fable. L’éveil de la sexualité chez les adolescents évoqué par l’innocent strip-tease de Vanessa pendant un exposé qui a pour effet de détourner l’attention des élèves et de rendre mal à l’aise le professeur. La mère de Clément qui amène un cake à moitié cuit à cause de leurs économies d’électricité à la soirée chic et branchée des parents de Michael. La scène « après l’amour à trois » pendant laquelle chacun silencieusement se nettoie et se rhabille. Mais ces moments de vérité réaliste sont si clairsemés dans l’ensemble, si absents d’effets cinématographiques marquants, comme dans Ken Park par exemple, qu’ils ne demeurent que fulgurances et ne suffisent pas à lier-délier la fable.