Réalisé par Cheyenne Carron, une nouvelle tête du cinéma français, Écorchés se veut l’héritier d’une tradition narrative extrême, entre De bruit et de fureur et La Haine. Malheureusement, malgré de très bonnes intentions et surtout un potentiel visuel remarquable, le film tombe rapidement dans une caricature volontiers racoleuse.
Léa et Marc sont amants. À demi-mots, on nous murmure qu’ils sont aussi demi-frère et sœur. Ils décident de laisser libre court à leur inceste luxurieux dans la solitude d’une grande maison isolée et battue par des vents shakespeariens. Au bout de la passion, évidemment : la mort.
Voilà l’alléchante idée de départ des Écorchés de Cheyenne Carron, jeune réalisatrice d’une trentaine d’années. Une passion interdite, forcément trouble, forcément démonstrative ; une maison isolée, vieille et mystérieuse, battue par une tempête de tous les diables ; une pièce fermée, moderne équivalent de la porte interdite de Barbe Bleue, et qui abrite des dizaines de mannequins nus ; une omniprésence d’un quelque chose oppressant, interdit, féroce, morbide… À l’énoncé de cet inventaire vénéneux, les amateurs des romans gothiques relisent leurs volumes de Le Fanu, Lewis et Jean Ray pour prêter une attention perfide à cette histoire inquiétante. Hélas pour eux, malgré un travail remarquable de son décorateur, la folie inhérente à l’idée de départ et le potentiel fantasmagorique inquiétant de son cadre, Écorchés tourne vite court.
Léa et Marc sont dépeints, à dessein semble t‑il, comme le degré zéro de la romance (avec de superbes échanges du style « On baise ? — Va plutôt me chercher une bière »), pour une raison qui reste nébuleuse. Pourquoi les membres du couple se transforment-ils en protagonistes d’un affrontement trivial et vachard où chacun à son tour se joue de la frustration de l’autre ? Mystère. À défaut d’offrir un semblant d’indice quant aux raisons de cette descente aux enfers, le film la démontre avec une complaisance crasse. Marc fait longuement mumuse avec un fusil qu’il voit manifestement comme un prolongement de ses attributs virils. Léa montre avec application qu’elle possède une panoplie impressionnante de petites culottes fantaisie. Les deux alignent avec régularité des scènes faussement érotiques censées, certainement, souligner les paliers de la tension qui s’installe entre eux. Enfin, un petit chat d’une blancheur angélique traverse tout ça, probable symbole d’une innocence perdue.
Non contente de nous noyer dans un symbolisme aussi lourd qu’il est de premier degré, Cheyenne Carron construit son scénario selon des jalons plus sclérosés que rigoureux, via Marc qui revient rétrospectivement sur les faits. Ces apartés entre lui et un inspecteur servant majoritairement à indiquer à l’auditoire quelle tonalité préside aux séquences suivantes, la réalisatrice semble négliger d’apporter un minimum d’audace à sa mise en scène. Celle-ci saute d’une réalisation sage à une caméra à l’épaule effrénée (et passablement nauséeuse), évidemment utilisée dans les séquences de stress. La bande son, à l’avenant, codifie le film d’une façon stricte avec des morceaux envahissants et explicatifs au point d’en devenir simplistes.
« Ce film, c’est un cri, je l’ai fait avec sincérité. J’avais besoin de ce film brut. » C’est ainsi que la réalisatrice explique sa perception de son film, qu’elle avoue être inspiré de sa propre expérience. Brut, il l’est indéniablement, dans le fond, comme dans la forme. Tout cela est tellement brut que cela en devient amateur, dans tous les mauvais sens du terme. D’un conte noir et terrifiant, Écorchés n’a finalement réussi à devenir que l’ombre fauchée et complaisante de son compatriote sorti l’année dernière, le prometteur Ils.