Après les réussis Ils et The Descent, le réalisateur James Watkins, qui collabore d’ailleurs à la suite de ce dernier, se lance également dans la mise en scène de la violence gratuite. Là où les deux films cités insistaient sur la construction d’un suspense ou des thématiques quasi métaphysiques, Eden Lake se contente bien souvent de montrer sang et vomi à vau-l’eau au détriment d’une réflexion ou d’une simple représentation d’une violence incompréhensible.
James Watkins n’est pas indifférent à la cause du film d’horreur : son monteur, Jon Harris, fut monteur sur The Descent, et réalisera The Descent 2, co-écrit par James Watkins. On ressent évidemment tout au long de ce premier long-métrage la référence… le problème principal est qu’Eden Lake, bien qu’il démontre un talent réel pour le suspense et l’horreur, choisit bien trop la démonstration de cette horreur en gros plan provoquant des maux d’estomacs, plutôt que la suggestion permettant une angoisse plus profonde, de celles qui taraudent l’esprit plus de trois minutes. Le thème initial est pourtant intéressant : comment la violence naît-elle ? Dans Eden Lake, elle naît de l’ennui, du sentiment d’impunité d’une bande d’adolescents en mal de sensations. Les enfants du film Ils avaient déclaré, pour se justifier, au poste de police après la découverte du meurtre d’un couple : « Ils refusaient de jouer avec nous. » La violence semble alors être un amusement comme un autre. Une variante de l’humiliation classique poussée à l’extrême ?
Un couple, Jenny et Steve, décide d’aller camper au bord d’un lac paradisiaque ‑comme son nom l’indique‑, menacé par la construction immobilière : lorsqu’ils décident tous deux de lézarder au soleil sur une des plages, quelques adolescents du cru arrivent, commencent par faire hurler une musique moins relaxante que le silence. La confrontation de deux âges, la quinzaine et la trentaine, est la première étape du drame : pour les adolescents, toute remarque est dirigée contre leur culture, leur mode de vie, contre eux. Toute remarque, aussi simple soit-elle, est une provocation : alors qu’ils volent leur voiture, ils prennent « par hasard », par inconscience, en otage le mari. Entrant dans la spirale de la violence, ils ne pourront plus s’arrêter. Les confrontations sont diverses : deux âges, mais il existe aussi la confrontation entre les enfants eux-mêmes. Le chef de la bande, qui prend la violence comme une autorité envers ses camarades, va forcer ceux-ci à l’imiter. C’est ainsi que tous, dont la plupart ne ressentent que dégoût pour cette violence, suivent, pour faire partie du jeu.
L’Angleterre a malheureusement dû faire face à un certain nombre de violences de ce type depuis quelques années : cette violence, qui n’est ni réellement sociale, ni raciale, encore moins religieuse, n’est « plaisante » que pour elle-même. Elle trompe l’ennui, le sentiment d’abandon, la volonté de puissance. Eden Lake montre d’ailleurs assez bien la ritualisation de cette violence, vécue comme une étape, une initiation. Mais le point faible du film est sa tendance fâcheuse à vouloir être gore au lieu d’être subtil ou tout simplement explicite. Kelly Reilly ‑rescapée des Poupées russes- et Michael Fassbender n’échappent à rien : gros plans sur membres meurtris, écorchés, coupés, gros plans sur flaques de sang, de vomis, censés contraster avec l’eau bleue du lac… à force de détails cradingues, on finit par penser que la caméra prend le point de vue des adolescents, sans les excuser évidemment, au lieu de se placer dans une position neutre, une position de relais du fait divers, que le réalisateur n’adopte qu’en toute fin de film. Plus dégoûtant qu’angoissant, plus stomacalement nauséabond que moralement terrifiant, Eden Lake aurait sans doute gagné à réfléchir sur ses thèmes, sur la violence gratuite elle-même, plutôt qu’à vouloir filmer en permanence le résultat de cette violence.