Isabelle Mergault n’aime pas les critiques, dixit le dossier de presse de son second long métrage. Enfin, disons qu’elle n’aime pas les critiques non « constructives », comprendre « négatives ». Isabelle Mergault, dixit le même dossier de presse, n’aime pas écrire des scénarios, ne comprend rien au montage, et ne pense jamais à l’image quand elle imagine son film à venir. D’ailleurs, Isabelle Mergault préfère le théâtre. Mais pourquoi, donc, s’échine-t-elle à réaliser un film ? Oserait-on penser que les 3,5 millions d’entrées de sa précédente bouse (pardon, Isabelle) ont fini par la convaincre ? Non, loin de nous cette idée non constructive de lui croire un tel appât du gain. Isabelle, elle, trouve plus de satisfaction dans les remerciements naïfs des « simples » anonymes qu’elle croise dans la rue. On la croit ?
Tentons donc, puisqu’il le faut, d’être constructif. D’oublier qu’Isabelle Mergault et ses 3,5 millions d’entrées ont bien de la chance de pouvoir faire des films produits par TF1 et le CNC et distribués par Gaumont tous les ans, alors que des dizaines de jeunes réalisateurs pleins d’espoir galèrent pendant des années sans que ne s’ouvre jamais le précieux sésame. D’oublier qu’être réalisateur, ça ne s’improvise pas sur les plateaux télévisés de Laurent Ruquier ou sur les planches de la comédie de boulevard, même si l’on cite Ernst Lubitsch (qui doit s’en retourner dans sa tombe) comme son réalisateur préféré. Voyons donc, concrètement, cinématographiquement, ce qu’il faut retenir d’Enfin veuve, long métrage dont le casting et le scénario (sorte de comédie noire sur les avantages et inconvénients du veuvage) sont a priori, comme toujours dans le genre moribond de la comédie populaire à la française, les premiers points forts.
Toute critique fonctionne comme un examen : la notation résulte souvent d’un avis comparatif avec ce qui se fait dans le même domaine. Si Isabelle Mergault avait réalisé un téléfilm du samedi soir pour France 3 (souvent seule bouée de sauvetage face à la marée de médiocrité sur les autres chaînes), nous aurions peut-être trouvé quelques qualités de réalisation à Enfin veuve, le budget aidant. Mais la réalisatrice destine son film aux salles obscures, soit celles qui diffusent en ce moment même le bijou d’Abdellatif Kechiche, La Graine et le Mulet. Or, là, pas de pitié. La réalisation d’Isabelle Mergault mérite le zéro pointé récompensant sa banalité médiocre : les quelques scènes réussies du film (humoristiquement, s’entend) semblent tirées d’un sketch de Palmade/Laroque et filmées de la même façon.
Côté scénario, c’est carrément la cata. Passons sur le désintérêt total d’une histoire d’amour prévisible au plan près et la nullité crasse de dialogues à peine second degré (comment Jacques Gamblin, pour qui nous avons le plus grand respect, a‑t-il pu accepter de dire : « Tu étais la femme d’une nuit, je veux que tu sois la femme d’une vie » ?). Là où Isabelle Mergault échoue lamentablement, elle qui proclame son amour des gens « simples », réside dans sa vision de la société. Soit, en gros, d’un côté, les « intellectuels » (le mari dont on se débarrasse), médecin ennuyeux et cruel, défini comme « cultivé » et écoutant de la musique classique (du Verdi, pas du Dutilleux), et de l’autre, le « peuple » (la femme et son amant), qui écoute du Joe Dassin. Selon Isabelle Mergault, donc, il est impossible d’aimer à la fois Joe Dassin et la musique classique, ou d’être à la fois un peu intello mais sympa quand même : ne brouillons pas les catégories, que diable ! Ce n’est pas pour autant que les gens simples (ou plutôt simplistes) ont le droit à un traitement de faveur : les proches de l’héroïne sont tous des imbéciles caricaturaux, laids et vicieux, au sourire carnassier, qui nous poussent singulièrement vers une forte misanthropie.
Engagés dans notre devoir de « constructivisme », nous aimerions conseiller à Isabelle Mergault d’abandonner le cinéma et de s’attacher à ce qu’elle sait faire (le « quoi » n’est pas de notre ressort), mais nul doute qu’une majorité de spectateurs viendront nous contredire en masse ces prochaines semaines. Alors, puisqu’Isabelle Mergault n’a rien à y perdre, clamons-le du haut de notre fierté de critique bafouée sous les sempiternelles huées de la profession et du grand public : Isabelle Mergault n’aime pas les critiques ? Eh bien les critiques ne l’aiment pas non plus.