En 2007, Claude Berri, c’est un certain cinéma français populaire un brin désuet, à l’aise dans ses charentaises, vaguement au-dessus du panier dans la catégorie « films avec des stars ». On est en droit de préférer un film de Claude Berri aux indigestes puddings people de Nicole Garcia, Thierry Klifa et Danielle Thompson, probablement parce que le cinéaste a toujours mis beaucoup de lui-même dans ses œuvres, même les moins personnelles. Depuis la toute fin des années 90, Berri est revenu à un cinéma nettement plus autobiographique que les superproductions qui ont fait sa renommée (Jean de Florette, Manon des sources, Germinal, Lucie Aubrac). D’une série de tragédies personnelles, le réalisateur a puisé l’inspiration pour La Débandade (1999) et L’un reste, l’autre part (2005) ; dans les adaptations de succès littéraires comme Une femme de ménage (2002) et cet Ensemble c’est tout, il a trouvé un écho à ses propres tourments.
Producteur tout-puissant, réalisateur peu commode (on se souvient des remous provoqués par sa décision de virer Juliette Binoche du tournage de Lucie Aubrac), personnage incontournable du petit milieu du cinéma français, président de la Cinémathèque française, Claude Berri n’en reste pas moins une personnalité attachante, à l’image de ses films. Ensemble, c’est tout, adaptation du best-seller d’Anna Gavalda, ne déroge pas à la règle. D’un strict point de vue cinématographique, le film est aussi insignifiant que le roman qui l’a inspiré : aussitôt vu, aussitôt oublié. Pourtant, le discours ressassé par le cinéaste de film en film (la solitude, la perte d’un proche et la reconstruction de ceux qui restent, la vieillesse et la déchéance physique) trouve dans les personnages inventés par la romancière un bel écrin, auquel les comédiens apportent toute la sensibilité requise.
Ensemble, c’est tout, c’est l’histoire de quatre personnes un peu abîmées par la vie, réunies par le hasard sous le même toit : Camille (Audrey Tautou), femme de ménage fragile comme un oiseau tombé du nid, aux talents de dessinatrice ; son voisin Philibert (Laurent Stocker), jeune aristocrate timide et complexé, qui se rêve comédien ; Franck (Guillaume Canet), le colocataire de Philibert, cuisinier bourru qui a le sentiment d’avoir raté sa vie ; et Paulette (Françoise Bertin), la grand-mère de Franck, qui a bien du mal à accepter l’idée de finir ses jours en maison de retraite. Leurs destins vont se croiser et, au contact les uns des autres, la vie va sembler beaucoup plus simple.
Que de jolies choses et de beaux sentiments, enrobés dans un discours lénifiant sur la solidarité devenue si rare dans l’anonymat des grandes villes ? La critique vaut pour le roman de Gavalda, un peu moins en ce qui concerne le film. On se souvient que Clint Eastwood a réalisé l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre (Sur la route de Madison) à partir d’un insipide roman à l’eau de rose. Toutes proportions gardées, la trame de Ensemble, c’est tout se révèle elle aussi magnifiée par la caméra de Berri. Le regard du réalisateur sur ses personnages est dénué de toute complaisance. Camille est mignonnette mais semble se vautrer dans sa fragilité en attendant que quelqu’un vienne la sauver. La préciosité de Philibert amuse et exaspère en même temps. À force de geindre, Paulette devient rapidement insupportable. Quant à Franck, il est tout simplement lâche et égoïste, se cachant derrière le soutien financier et moral qu’il apporte à sa grand-mère pour mieux masquer la vacuité de son existence. Parce que Claude Berri est aussi un très bon directeur d’acteurs et que les comédiens qu’il a choisis sont tous talentueux, on croit dur comme fer à ces personnages joliment humains, tous cabossés par la vie, dont les nombreuses imperfections sont autant de signaux renvoyés au spectateur pour lui rappeler que les plus belles fables sont creusées dans le réalisme le plus pur. Même Philibert, anti-héros a priori improbable, ressemble à ces personnes que l’on croise parfois en se disant que la vraie vie engendre des phénomènes bien plus « hénaurmes » que ce que le cinéma n’osera jamais inventer. Avec juste le bon dosage de réalisme et de fantaisie, l’aristocrate bègue qui se rêve comédien est assez irrésistible, porté par un acteur surprenant, Laurent Stocker, sociétaire de la Comédie Française. Hélas, alors que le personnage est au centre de l’intrigue dans le premier tiers du film, il est progressivement abandonné au profit du couple Camille/Franck, dont la dynamique je t’aime/je te hais est amusante mais plus conventionnelle.
Au fur et à mesure qu’il progresse, le film devient d’ailleurs de plus en plus sage, même si Berri s’autorise quelques jolies scènes, notamment celle où Camille dessine un nu de Paulette. Assez travaillé par le vieillissement du corps (voir La Débandade), Berri filme la scène avec une pudeur qui n’empêche pas une certaine frontalité. Ensemble, c’est tout est ainsi parsemé de beaux instants, parfois décalés (Camille qui, à la découverte d’un cadavre, saute sur ses crayons plutôt que son téléphone), parfois alourdis par une intrigue convenue, au positivisme pas désagréable mais un peu niais. Mais vu dans sa globalité, le film n’est réellement intéressant que parce que la candeur du roman, sa prétendue noirceur sont régulièrement malmenées par le pessimisme de Berri, bien plus désespéré et âpre que celui de l’écrivaine. Ce qui, en l’occurrence, n’est pas une question d’expérience ou de vécu, mais bien de talent.