Adaptation libre du roman de Dominique Barbéris Les Kangourous, Entre ses mains n’est pas une banale histoire d’attirance adultère entre une jeune femme sage et un séducteur, c’est bien plus que cela. L’histoire de cette passion extrême est remarquablement mise en scène et interprétée, acquérant une profondeur insoupçonnée. Anne Fontaine prouve ainsi que l’on peut réaliser un film ancré dans le plus profond réalisme, et pourtant surprendre et émouvoir.
Claire, la trentaine, vit à Lille avec son mari et sa petite fille. Travaillant dans une compagnie d’assurances, elle reçoit un jour la visite de Laurent, venu la solliciter pour un dégât des eaux dans son cabinet vétérinaire. C’est le début d’une histoire chaotique et mystérieuse, d’une passion extrême et surprenante. Comme souvent chez Anne Fontaine, le synopsis du film ne laisse pas présager toute la profondeur qui va se révéler dans les situations, les personnages et les sentiments explorés. Comme dans Nettoyage à sec et Comment j’ai tué mon père, on contemple d’abord des personnages ordinaires, ou du moins qui en ont l’air, avant de plonger dans une spirale d’émotions, et d’être happé par la vérité et la force des sentiments dépeints. Ainsi, Anne Fontaine inscrit son film dans le réalisme, mais ne provoque jamais l’ennui, tant le récit et les personnages s’imposent dans leur beauté et leur troublante ambivalence.
Troublant, le personnage de Laurent l’est assurément. Il se présente d’abord comme un séducteur, multipliant les invitations, les petites attentions et les compliments à demi-mots. Puis, à mesure que la confiance s’installe ou que le trouble grandit en lui, il révèle ses fêlures, jusqu’à parfois devenir hermétique et secret. Benoît Poelvoorde est absolument extraordinaire dans ce rôle dramatique à contre-emploi. Il incarne toute la séduction, l’ambivalence et la souffrance du personnage avec une justesse et une vérité confondantes. Le jeu d’Isabelle Carré est tout aussi remarquable. Anne Fontaine en fait un personnage qui se cherche, en témoigne la multiplication des plans nous la montrant indirectement, à travers une vitre, ou par son reflet dans un rétroviseur ou un cadre accroché au mur. La réalisatrice met d’abord l’accent sur son classicisme (à travers ses tenues, sa vie rangée) et son romantisme, pour ensuite mieux la saisir dans le tourbillon des sentiments qui l’assaillent. Nous assistons alors à la véritable transformation d’une femme qui, malgré ses soupçons et le comportement parfois étrange de Laurent, est irrésistiblement attirée par cet homme. Filmée en train de danser dans un club, Isabelle Carré est littéralement sublimée, et dégage bien plus de séduction que son amie, filmée quelques temps après dans les mêmes circonstances.
Car le cœur du film, c’est bien le rapprochement entre ces deux personnages, et non l’intrigue policière, cette « affaire » du tueur en série qui court en filigrane. Le rapprochement avec Laurent est inévitable et voulu, mais la grande force du film est dans un premier temps de ne rien révéler, de ne pas chercher à tout prix à expliquer ce qui se passe, mais à tenter de capter ces épisodes surprenants et extrêmes de la vie avec la plus grande vérité possible. La fragilité des deux personnages est palpable, et reflète leur humanité. C’est pour cela que la caméra d’Anne Fontaine se fait plus légère que d’ordinaire, parfois à l’épaule pour mieux saisir les hésitations et les émotions des personnages, qui se confient peu. Au fil des situations, la caméra cadre et scrute les visages, ou filme en plan d’ensemble un tête-à-tête, et parfois même se met à distance, par exemple lorsqu’elle avance avec les personnages dans les rues de Lille.
Les personnages se livrent peu. Tout, ou presque, est intérieur. Cela ne nous empêche pas de les comprendre, de les suivre, de trembler pour eux, à mesure que la passion et corrélativement la tension montent en crescendo. Comme pour les personnages, nos certitudes vacillent. Et si l’inconcevable était finalement une possibilité ? Anne Fontaine illustre de manière admirable le caractère irrationnel et inexplicable des sentiments, d’autant plus bouleversants qu’ils sont dépeints sans fard.