Depuis Albert Londres, la profession de journaliste s’enorgueillit de compter dans ses rangs des héros. Pour aller assister au dernier méfait de Gérard Jugnot (nom de crime : le « Choriste ») et Gérard Lanvin (nom de crime : Chevalier Blanc), terroristes de l’humour beauf tricolore, il ne fallait rien moins que deux agents exfiltrés du défunt « peloton de Critikat », deux plumes rompues aux pires horreurs : Ophélie Wiel (nom de code : Shah Rukh K.) et Vincent Avenel (nom de code : Audrey H.). Physiquement indemnes, mais intellectuellement très éprouvés, nos reporters reviennent sur ce nouvel attentat cinématographique, Envoyés très spéciaux.
AH : Ma chère Shah Rhuk, l’affaire fut rude. Le métier de journaliste, fut-il critique de cinéma, nécessite un véritable investissement – et il n’en fallait pas moins pour oser affronter les deux terribles Gérard Jugnot, cible d’un mandat international pour « incarnation active du beauf français moyen au cinéma », et Lanvin, l’Homme aux deux mimiques, coupable quant à lui des attentats intellectuels et esthétiques Camping, Trois Zéros ou Le Boulet, pour ne citer qu’eux.
SRK : Mon cher Audrey H., il est vrai que notre mission n’était pas des plus sûres, le chemin de la comédie franchouillarde étant jonché de mines anti-personnels prêtes à exploser à nos cerveaux gravement mis en danger. N’écoutant cependant que notre courage et notre intégrité professionnelle, nous avons voulu rendre compte de la situation à nos compatriotes. Cerclés de toutes parts par les bonnes intentions, nous décidâmes de tenir secrets nos a priori afin de ne pas être repérés trop rapidement. Nous sommes donc restés à l’écoute une heure quarante durant, attentifs et concentrés à l’extrême. Bien nous en a pris : car, il faut bien se l’avouer, l’événement était bien plus complexe à analyser que nous ne l’aurions pensé au prime abord…
AH : Plus complexe, certes. Il faut ainsi souligner, tout à notre équité intellectuelle, que nous avons ri, sans le moindre état d’âme, à la seconde partie de ces Envoyés très spéciaux. Seconde partie centrée autour de l’argument du film : nos deux reporters se font passer pour des otages en Irak, alors qu’ils n’ont pas même quitté la France. Et la profession de s’émouvoir, la femme de Jugnot de créer un Otageothon, un artiste en vue de chanter l’hymne des deux journalistes, la France entière de se mobiliser derrière ses deux ressortissants… Et vous conviendrez avec moi, chère confrère, que la satire est plutôt bien troussée dans cette seconde partie débordant d’un cynisme redoutable dans sa description de la conscience médiatique de l’Hexagone !
SRK : J’en conviens avec plaisir, cher collègue rompu à tous les dangers. Il n’était pas évident, au vu de la situation actuelle, que le film tourne effectivement à la bonne surprise : rythme soutenu, satire plaisante et très juste sur le traitement médiatique des « prises d’otages ». Voici un film plutôt intelligent, pour ainsi dire, malmenant avec bon sens la profession de journaliste. Ceci dit, et comme vous me le faisiez remarquer justement au sortir de cette projection finalement peu éprouvante, Envoyés très spéciaux ne commence réellement à prendre forme qu’au bout de trois longs quarts d’heure de mise en place, avec notamment une scène de « soirée » longuette et assez inutile, assortie d’une photographie douteuse…
AH : En effet. Le film, finalement, s’apparente à une excellente idée de moyen métrage satirique plutôt bien foutu, à laquelle on aurait voulu rajouter une introduction laborieuse et quant à elle en tous points conformes aux craintes que l’on a pu avoir pour une production de cet acabit. Que dire d’une telle façon de considérer son film, sinon qu’il est malheureux qu’une comédie française ne doive que fort rarement être considérée comme un film réel, avec une progression dramatique pensée, et une véritable identité narrative ?
SRK : Que la comédie française a encore beaucoup de mal à sortir de l’ornière dans laquelle elle s’est jetée toute seule. On se prend devant les séquences les plus réussies d’Envoyés très spéciaux à penser avec nostalgie au temps béni des Grande Vadrouille ou Aventures de Rabbi Jacob, époque révolue où l’on savait à la fois travailler des scénarios au sous-texte intelligent et tenir un rythme une heure trente durant. Ce film d’un quasi-inconnu, Frédéric Auburtin, ouvre pourtant un maigre espoir : pour faire barrage aux futurs Agathe Cléry ou Astérix, productions 100% monstrueuses, ne vaut-il pas mieux s’enthousiasmer pour une petite réussite plutôt que de n’y voir grossièrement qu’un échec ? N’est-il pas bon de quitter un moment son gilet pare-balles de critique bourré de préjugés ? Donnons donc à Envoyés très spéciaux un petit accessit, et quelques encouragements : une bouffée d’optimisme dans ces temps cinématographiques troublés !