Il y a des films, comme ça, qui donnent directement l’envie de ne pas être objectif. Notamment lorsque, juste avant la projection de presse, on nous annonce pompeusement que la France a été sélectionnée pour obtenir le grand « film-événement » en « avant-première internationale », et que l’on nous prie gentiment de ne rien révéler avant la sortie. Aucun problème : le journaliste un minimum cinéphile n’aura aucune envie d’ergoter sur cette chose dont l’acteur principal s’est illustré auparavant dans des « spectacles scolaires » (sic) et adaptée d’un best-seller écrit par un ado de quinze ans, privé de boums et de clopes dans les toilettes du collège avec sa bande de potes.
Eragon est le type même de la superproduction à qui l’on a donné beaucoup d’argent, mais pas suffisamment, histoire d’engranger le maximum de bénéfices. On imagine tout à fait le budget casse-tête : un million pour deux grosses stars, histoire que le film ait l’air de ce qu’il n’est pas (on se concentre avec difficulté sur les beaux yeux de Jeremy Irons sans y trouver la moindre once d’expressivité); quelques millions pour le principal héros du film, un dragon femelle en images de synthèse, créé uniquement pour entendre les « waouh » et les « haaaa » béats des idiots convaincus de l’intérêt du film à effet spécial continu ; et enfin, des dizaines de millions pour le « clou » d’Eragon, la baston finale, montée au marteau piqueur, aussi spectaculaire et vomitive qu’un tour de grand huit à l’envers…
Une fois faite l’addition de ces jolis petits billets verts, il ne reste plus dans la poche du (des) producteur(s) que quelques piécettes ridicules. Le problème, c’est que ça se sent, et surtout, que ça se voit. Expédiées les rares scènes d’un John Malkovich aussi égaré que son rôle, il faut bien supporter le visage d’Ed Speelers (vous savez, le pro des spectacles scolaires?), droit et inexpressif comme un mannequin de défilé et qui fait regretter la jolie bouille d’un Hayden Christensen dans Star Wars. Le rationnement a touché jusqu’aux costumes : l’unique jeune fille du film est vêtue de haillons (à visée écologiste, nous précise le dossier de presse, monument de cynisme), et le frère du héros se balade en Levi’s dans un Moyen-Âge plus new-age que fantasy. Quant au réalisateur, bien embêté de devoir combler son heure cinquante de film après avoir épuisé les fonds dans la séquence finale, il se fend de grands mouvements de caméra interminables sur la jolie nature (hongroise), la jolie princesse et le joli dragon et va même jusqu’à réutiliser le même plan à cinq minutes d’intervalle (on dira sans doute qu’il s’agissait de tester l’attention du spectateur : « ha ha, je l’ai déjà vu, celui-là ! »).
Avec tout ça, on en a oublié l’histoire. Disons que l’affiche est plus parlante que le film lui-même : un mélange entre l’immonde Seigneur des anneaux, l’infâme Monde de Narnia et toutes les niaiseries destinées à faire un carton en salles et en DVD. En gros, le Bien, pur et chiant comme un dessin animé du Club Dorothée, combat le très vilain Mal, aussi ambigu qu’une chanson de Britney Spears. Évidemment, le gentil Eragon (prononcez « Eragonne ») gagnera à la fin. Mais pour s’en assurer, il faudrait voir Eragon II, le retour et Eragon III, le combat final aux prochaines fêtes de Noël. Non merci, on passe le tour.