Fantasmes et Fantômes se constitue de trois mini-films, adaptations de pièces de Georges Courteline et André de Lorde (le second étant réputé pour ses récits macabres et horrifiques). Cet ensemble a priori hétérogène peut toutefois s’observer comme un drame en trois actes, dont le fil conducteur serait le simulacre. Les personnages (différents selon les chapitres) s’enfoncent au fur et à mesure dans une logique d’artifice (dès le premier acte, tout se déroule dans une carte postale, grâce à un fond vert), dont le climax s’incarne dans le dernier acte, asile psychiatrique aux apparences trompeuses. Pourtant, le découpage technique rigide, marqué par l’épure des décors (comme au théâtre), témoigne d’une volonté de contrôle total sur le film, laissant peu de place aux folles envolées lyriques et émotionnelles qu’aurait pu promettre l’adaptation de ces classiques, enfonçant définitivement l’œuvre dans une démarche qui s’avère avant tout expérimentale.
La fragilité du souvenir
La difficulté à juger ce type de production artisanale, réalisée avec un budget modeste et des moyens techniques limités, tient des imperfections visuelles, dont on ne saurait dire si elles émanent d’une volonté esthétique du réalisateur, ou témoignent au contraire d’une perte de maîtrise (tremblements et grains de l’image, mouvements de caméra hachés, etc…). La réalisation semble pourtant assumer ces imperfections, particulièrement marquées durant le premier chapitre, et ce en adéquation avec son sujet : la restitution d’une réminiscence ou un surgissement subconscient, générés par une photographie — soit un récit qui ne peut se restituer de manière précise, puisque le souvenir reste malléable. Dès l’ouverture, une voix-off annonce un rêve se mêlant à des souvenirs, qui se matérialisent alors en photo de carte postale (l’intérieur d’un café parisien, en noir et blanc). Soit une double fonction du document d’archive : la photographie comme trace mémorielle, et son support (carte postale) comme une version décuplée d’une mémoire rendue commune.
La direction scénographique (acteurs, découpage technique, lumière, décors et accessoires) semble donc entièrement définie par une logique de superficialité. Le barman du premier acte, par exemple, est réduit à sa pure fonction professionnelle, et dès lors qu’il n’intervient plus dans le récit principal, reste figé à l’arrière-plan, affirmant qu’une narration basée sur le souvenir ne saurait figurer précisément tous ses éléments contextuels. Dans le second acte — l’histoire d’un homme en voyage d’affaires, écoutant au téléphone, totalement impuissant, l’assassinat de sa famille — Noël Herpe, le réalisateur, alterne entre mise en scène théâtrale (plan-séquence large) et effets visuels purement cinématographiques (gros plans), contraste qui accentue la perception du découpage.
Exercice de styles
Là où la logique narrative peut entraîner un sur-découpage de l’action, usant de procédés optiques sans réelles intentions réfléchies — simple interpellation du spectateur sur un objet particulier — l’économie des effets opérée ici permet d’en apprécier amplement leurs manifestations. Lors du gros plan sur le téléphone, l’idée n’est pas d’attirer l’œil sur l’objet pour sa présence diégétique. Il s’agit plutôt de lui accorder le statut de centre de gravité (dans les deux sens du terme) : à la fois porteur narratif (la conversation téléphonique d’où l’événement est perçu) et à la fois seule image de drame qui se déroule en hors-champ (le meurtre). Cette interpellation optique évoque malicieusement les esquisses narratives du cinéma des premiers temps (le célèbre gros plan du cowboy dans The Great Train Robbery d’E.S Porter).
Le choix d’adapter des pièces de théâtre dont l’objet même est le rôle du comédien — dans la première pièce, un comédien étale ses registres d’interprétation à un passant, puis dans le dernier, les personnages doivent cacher leur véritable identité — donne donc à comprendre d’emblée le projet théorique qui animait l’œuvre. Sa force rhétorique peut donc tout autant être perçue comme un défaut esthétique : la rigueur formelle que Noël Herpe adopte malgré tout, c’est-à-dire au détriment parfois d’une technicité capricieuse, confère à Fantasmes et Fantômes un statut académique bien sage.