Pour une fois, le distributeur français aurait pu se permettre de modifier le titre original du film. Car Faster signifie « plus rapide », ce qui est cocasse pour ce polar à base d’intrigue vengeresse qui semble pourtant si lambin. L’art de la vitesse dans le cinéma hollywoodien se perd. Et avec lui, l’art de la série B. Et avec lui, l’art du film d’action. Et avec lui, l’art tout court ?
Prenez un film de Hawks, au hasard La Dame du vendredi, film rapide par excellence, et regardez ensuite un film de Michael Bay, disons Transformers, film hystérique par excellence. Ce dernier vous paraîtra incroyablement lent, empesé, n’avançant qu’à pas de fourmis dans une direction pas très sûre. Malgré le montage qui défile dans tous les sens, la caméra qui zigzague comme une démente, vous vous rendrez aisément compte que tout cela fait du surplace. Le film de Hawks, lui, fonce droit comme une fusée vers un horizon tellement lointain qu’on ne soupçonnait même pas son existence. La différence entre ces deux « amuseurs publics », c’est que l’un voyait le cinéma comme un train capable de transporter le spectateur là où il ne s’y attend pas tandis que l’autre le considère plutôt comme un montagne russe qui s’excite beaucoup mais qui finit toujours par rejoindre son point de départ. Entre le Hollywood d’hier et celui d’aujourd’hui, nous avons fini par passer du voyage au simple tour de manège. Les réalisateurs comme Bay agitent leur découpage en croyant donner du peps à un film limonade dont les bulles retomberont impitoyablement vers le fond. Les cinéastes comme Hawks indexent leur scénographie sur l’emballement des personnages qui finissent par parler plus vite qu’ils ne pensent et agissent plus vite qu’ils ne le souhaitent. La vitesse dans le cinéma hollywoodien, d’En quatrième vitesse à La Mort aux trousses, est toujours passée par des personnages qui courent tellement frénétiquement qu’ils en oublient la raison. En réalité, ils se fuient eux-même.
Est-ce alors lui-même que cherche à fuir l’improbable Dwayne Johnson au début de Faster ? On pourrait le croire. Le film s’ouvre sur une scène le montrant passer ses dernières minutes en prison après une peine de dix ans. Pressé de sortir, pressé de trouver sa voiture (une Mustang noire mate traversée d’une épaisse bande blanche) et pressé, on le comprend au revolver dissimulé sous le siège passager, de tuer. Cet empressement est de bon augure, il laisse présager une petite série B nerveuse, sèche et violente. Mais Faster n’est rien de tout ça. Très curieusement, le film va se compliquer la vie, multiplier les personnages, s’encombrer d’explication, de retournement de situation et de flash-back – le pire ennemi des mauvais réalisateurs. Bref, c’est le scénario qui va guider le récit, l’explicitant, le ponctuant, le ralentissant. Or, c’est bien connu, pour qu’un film soit rapide, surtout une série B, il faut qu’il se déleste du poids de son histoire, il faut qu’en deux plans et un raccord, il nous en dise plus long que n’importe quel monologue. Il faut que le scénario laisse des trous que la mise en scène puisse combler. Sans trou – donc sans hors-champ –, avec des personnages dont le moindre aspect a été défini, s’étalant dans d’insupportables scènes d’exposition (comme celle du flic junkie qu’interprète l’impassible Billy Bob Thornton dont aucun détail de la situation familiale ne nous sera épargné. D’ailleurs, tous les éléments du film tournent autour de ça : la famille !), il paraît difficile pour le récit d’être faster, il se traîne même interminablement. Et comme George Tillman Jr n’est pas un très bon réalisateur, il ne trouve qu’une seule chose à faire pour y remédier : secouer la limonade.
Évidemment, entre tous ces aléas scénaristiques, ces suspenses préfabriqués et ces révélations empruntées, la limonade a été éventée depuis longtemps. Sans gaz, c’est-à-dire sans action, secouer ne sert à rien. C’est là d’ailleurs que se joue le vrai drame du film : la fuite en avant de Dwayne Johnson. Drôle d’acteur, drôle de carrière. D’abord catcheur connu sous le nom de The Rock, cette montagne de muscle au regard efféminé s’oriente vers Hollywood où, croit-il, une place laissée vacante l’attend, celle des Stallone et Schwarzenegger en préretraite. Erreur, le cinéma d’action boosté aux hormones, décérébré et bourrin, s’est éteint avec le XXe siècle quand la télévision a décidé de reprendre les choses en main (avec 24). Plus besoin de muscles, plus besoin de Dwayne « the Rock » Johnson qui, entre quelques caméos comiques et quelques rôles dans des films d’auteurs, tente d’imposer sa carrure de héros d’action. En vain. Il ne lui arrive donc rien ou presque durant le film. Il est bien opposé à un moment à un tueur (Oliver Jackson-Cohen, beau-gosse britannique mais pas inintéressant pour autant) tout droit sorti d’un roman de Koontz mais sans grand résultat, ce dernier, totalement inutile, alourdissant encore plus l’histoire. Alors à la fin, le héros est confronté à un dilemme : le dernier homme responsable de la mort de son frère est devenu pasteur-prêcheur, âme charitable toujours à l’écoute d’autrui, bon père de famille : un Américain modèle, en somme. Que faire ? Épargner cette âme repentie ou faire tomber la lame vengeresse ? Les scénaristes optent pour la première option. Si Dwayne Johnson tire donc une telle moue boudeuse, ce n’est pas parce que son personnage est perdu dans des questions morales, mais plutôt parce qu’il est un acteur d’action égaré dans le puritanisme familial hollywoodien qui le prive de ce pour quoi il est fait : tataner du salopard. C’est vrai qu’il y a de quoi faire la gueule.