Dans un faubourg de Paris, en 1936, trois amis, Pigoil, Milou et Jacky, décident de reprendre un music-hall, le Chansonia. Pigoil est le plus paternel, Milou, le plus bagarreur et séducteur, et Jacky le plus exubérant. Cette aventure humaine a davantage intéressé Christophe Barratier que le contexte politique dans laquelle elle se déroule. Aussi, s’il tente de cerner par l’intime le climat d’effervescence du Front populaire, le réalisateur des Choristes échoue dans sa tentative de fresque historique. Doté d’un réel sens du récit et d’une solide troupe d’acteurs, Faubourg 36 n’évite malheureusement pas deux écueils majeurs : le survol historique et l’application. N’est pas Duvivier ou Carné qui veut.
Il y a dans le scénario coécrit par le réalisateur avec Julien Rappeneau, une ambition feuilletonesque louable, peu commune dans le cinéma français. Le désir, en peignant de multiples personnages et leur évolution durant une décennie, de mêler la petite et la grande histoire. De toute évidence, Barratier est plus à son aise dans l’intime que dans l’histoire. Ainsi, son talent de directeur de troupe est indéniable : à l’image de leurs personnages, les comédiens sont en parfaite osmose. Alors, bien sûr, on pourra reprocher à Barratier de reconduire ses acteurs dans leur rôle de prédilection : on pense en particulier à Gérard Jugnot, reprenant son emploi de Monsieur Batignole en Français moyen d’abord tristement conformiste. Mais, ses personnages, s’ils ressemblent d’abord à des archétypes, évoluent ensuite, ce qui les dote d’une plus grande complexité. Ainsi, le Pigoil de Gérard Jugnot révèle un courage insoupçonné dans des circonstances troublées. À l’inverse, Jacky, joué par Kad Mérad, trahit ses amis en cédant aux sirènes du succès à tout prix. Ce duo est appuyé par Clovis Cornillac, qui livre, en Parisien popu et fier de l’être, une partition à la fois solide et subtile. De plus, Barratier reste fidèle à cette tradition française des seconds rôles qui impriment tellement la pellicule qu’ils en deviendraient presque des premiers. Ainsi, Bernard-Pierre Donnadieu est un délectable Galipiat, patron du Chansonia fricotant avec les collabos, mais acceptant de céder son établissement pour adoucir son image. Partagé entre pur opportunsime et amour sincère pour Douce, il séduit. Pierre Richard est également épatant en monsieur TSF reclus depuis des années dans sa maison, même s’il apparaît comme un cousin de l’homme de verre joué par Rufus dans Amélie Poulain. Si Christophe Barratier accorde moins d’attention aux personnages féminins, Nora Arnezeder sort du lot, en montrant la fragilité de la séduisante Douce : pour son premier rôle, elle ne démérite donc pas, même si elle apparaît un peu lisse comparée aux sommets d’ambiguïté de Carice Van Houten dans l’impressionnant Black Book ; mais force est de constater que Barratier ne possède pas l’amoralisme d’un Verhoeven.
Son sens du récit témoigne d’une certaine virtuosité, en dépit de quelques invraisemblances – Pigoil sortant indemne d’une chute d’un toit qui aurait dû lui être fatale – ou coupes brutales – la mort de Jacky. Reste que la veine feuilletonesque parvient à ne pas tomber dans son principal travers, l’excès de rebondissements. Le risque de ce foisonnement est bien connu : qui trop embrasse mal étreint. C’est en partie le cas, car Christophe Barratier ne possède ni le sens de la stylisation, ni un engagement social et politique réel. Ainsi, dans son souci de recréer entièrement en studio un Paris aujourd’hui disparu, le réalisateur n’évite pas l’application. De plus, cette volonté de toucher le spectateur d’abord par ses personnages s’accommode mal de la nécessaire exactitude historique que suppose toute reconstitution. L’aspect politique est plus une toile de fond permettant de faire évoluer des personnages que véritablement traité. Certes, Barratier réussit à restituer l’atmosphère du Front populaire, faite de fraternité et d’espérance. Mais cette évocation est trop brève. Et surtout, les séquences politiques suivantes ne sont esquissées qu’à grands traits. Si les noms des journaux de l’époque sont bien présents, les noms des syndicats ou des partis politiques ont été changés, comme en témoigne le totalement fictif S.O.C. (solidarité, ordre, combat). Ces lacunes historiques ne font que couper le film du contexte social ambiant ; une déréalisation renforcée par l’esthétisme du film, n’évitant pas l’esbroufe. Alors qu’elle visait la maestria technique, la mise en scène tombe dans le piège démonstratif : plongées appuyées, mouvements de grue ou panoramiques inutiles. Pour la photo, Barratier a choisi Tom Stern, le chef opérateur de Clint Eastwood ; malheureusement, cet esthétisme paraît ici gratuit : ainsi, les couleurs paraissent excessivement contrastées.
Dans le dossier de presse, Christophe Barratier revendique des références prestigieuses : les films de Duvivier ou encore le réalisme poétique de Carné-Prévert. Sans être à la hauteur de ses modèles, Barratier est parvenu à recréer l’esprit de solidarité régnant notamment dans La Belle Équipe. Il faut ajouter que le personnage de Milou est un hommage évident à ceux campés par Jean Gabin dans les films de cette époque : même physionomie, cigarette aux lèvres et béret sur la tête, et surtout, une carapace de gros dur cachant une âme sensible et un grand cœur. On sera plus réservé sur les emprunts au réalisme poétique. Certes, la peinture populiste d’une société fracturée socialement et le poids du fatum s’acharnant contre les personnages les plus vulnérables sont bien présents. En revanche, on ne perçoit ni ce lyrisme rimbaldien à la mélancolie et la noirceur tenaces qui irriguaient les films de Marcel Carné, ni cette magie du décorum qu’avait un Alexandre Trauner. Finalement, ce qui prédomine chez Barratier, c’est l’amour des acteurs et la volonté de raconter une histoire touchant le spectateur, sans tomber dans les excès mélodramatiques.
On regrettera d’autant plus que le film soit aussi évasif sur le plan historique et réussisse l’exploit de combiner deux défauts esthétiques a priori contradictoires : l’emphase et l’application. Faute d’un vrai regard sur la société et d’un style propre, Barratier ne parvient pas à peindre la fresque historique qu’il visait.