Un remake du van-dammien Full Contact à l’usage des années 2000 ? Cela pourrait ressembler à Fighting. Dans ses grandes lignes, le film de Dito Montiel relève d’une entreprise de dépoussiérage du film de baston occidental, visant à produire un divertissement plus « crédible » que le tout-venant fourni au sous-genre depuis les années 1980. Le petit gars étranger qui débarque dans le grand monde (en l’occurrence New York), la nécessité de se battre — littéralement — pour survivre, le mentor ambigu qui le prend sous son aile, la tentation de la corruption, l’amour à la fois salvateur et menacé par le double jeu, le vieil ennemi venu d’un douloureux passé auquel il faut faire face dans un combat final, et bien sûr les duels de haute volée… Tout y est, du moins toutes les conventions scénaristiques connues du film de sport hollywoodien tendance « les pieds dans la gueule », sous-genre inspiré des films de Bruce Lee et popularisé voilà plus de vingt ans par une poignée de champions réels ou autoproclamés de [insérez ici un ou plusieurs noms d’arts martiaux].
Tout y est sur le papier, mais pas tout à fait à l’écran : y manque le culte du corps un peu balourd dans lequel se complaisaient les mises en image (autrement dit : en valeur) des chorégraphies martiales. C’est que Fighting ne cherche en aucun cas le revival des filmographies d’un Van Damme ou d’un Norris, mais au contraire à se couler dans le sous-genre sous une forme mature, délestée du « bourrinisme » apologétique qui colle à son image jusque dans les vidéo-clubs où vieillissent aujourd’hui ses anciennes gloires. Pour ce faire, le réalisateur (remarqué par les studios en 2006 pour une chronique semi-autobiographique, déjà new-yorkaise et nullement martiale, A Guide to Recognizing Your Saints) et ses producteurs font appel à une forte dose de street credibility. Ici, pas de grand écart facial ou de coup de pied sauté filmé au ralenti : la chorégraphie mélange la lutte à d’autres arts pour approcher le style des combats de rue, les duels sont vivement cadrés et montés dans le souci d’une efficacité brute où les corps empêtrés transpirent et souffrent en se tordant mutuellement. La Grosse Pomme ethniquement et socialement bigarrée, où la débrouille parfois peu scrupuleuse côtoie la suffisance des nantis, offre des rings variés pour ce tournoi qui prend dans les temps de relâche des allures de portrait urbain, et une bande-son puisant dans le hip-hop East Coast et le R’n’B à l’ancienne rythme le tout.
Parcours du combattant
Si les intentions de produire un divertissement à la fois crédible et « dans le vent », de revivifier un pan de cinéma menacé de ringardise, sont louables (malgré le risque que la patte « années 2000 » condamne ce film à être à son tour daté d’ici vingt ans), le film marque moins par cet esprit de sérieux un peu sec et bridé (on se donne une marque d’authenticité brute sans s’y donner à fond, ni chercher à se libérer des conventions fictionnelles du genre) que pour le rythme que cette quête de sens, même limitée, imprime au récit. Bien plus conteur que travailleur de l’image (ne parlons même pas de cinéaste d’action), Dito Montiel prend son temps pour raconter son histoire, ne se presse pas pour servir le cahier des charges ni pour exploiter la veine « réaliste » des prestations martiales. Son inexpérience du genre n’est pas forcément un handicap : il traite les confrontations musclées et les intrigues attenantes (trauma œdipien, relation amoureuse, magouilles des managers) avec le même regard. De sorte que si le suivi de la compétition, malgré le traitement particulier qui lui est appliqué, n’atteint pas vraiment des hauteurs notables, le reste du récit atteint une incarnation un peu plus perceptible que prévu. Montiel se révèle bien attentionné autour de son héros, qu’il expose habilement dans les premières minutes du film comme un jeune novice pas si novice que ça, étranger se cherchant par la débrouille une place dans le grand monde, mais avec déjà un inhabituel bagage — ses talents de lutteur — dessinant une ellipse que la suite se chargera de combler peu à peu. Son côté zonard un peu taciturne contrastant avec l’image de jeune premier qu’on pourrait d’abord nourrir à son égard, ses scènes de drague patiente et un peu empotée, ses dialogues plus ou moins francs avec les autres (témoins de son passé pénible, coach et managers douteux) ralentissent de manière bénéfique le parcours du combattant, laissant aux personnages et à leurs histoires le temps de respirer, de prendre leur place à l’écran et finalement d’émouvoir.
Cette traction du genre vers un intimisme mesuré ne se fait tout de même pas sans heurts, montrant un poil trop, ici et là, son application à cette tâche — notamment dans le jeu de l’acteur principal Channing Tatum, appréciable dans l’ensemble, mais pas exempt de quelques tics « Actors Studio ». L’hypothèse d’un désir pressant de crédibilité par les producteurs du film est encore accréditée par la présence à l’affiche d’au moins deux acteurs bien connus des productions en quête d’Oscars, Terrence Howard et Luis Guzmán (qui d’autre que ce dernier pour incarner un Latino à trogne patibulaire, magouilleur et proxénète ?). Si cet objectif se montre parfois un peu écrasant pour Fighting, il ne l’empêche pas de se laisser apprécier à l’aune de ses ambitions de film de série timidement « sérieux » : pas vraiment radical dans ses velléités de rupture, mais respirant juste assez par-dessus ses limites pour assurer le spectacle.