La Palestine et Israël produisent pour leur taille respective un nombre élevé de films qui s’exportent bien en France. La politique y est presque toujours présente, et s’accompagne de plus en plus d’une dimension intime. C’est que l’inconfort dans lequel vit cette région et l’attention européenne qui lui est portée permet d’accompagner le travail d’un grand nombre d’artistes. Elle est de ce fait un laboratoire souvent passionnant du rapport des hommes à cet environnement particulier, et à l’art. Fix ME, en suivant la psychothérapie de son réalisateur, sa vie quotidienne et familiale, représente bien, malgré des défauts formels, ce mélange assez unique d’un cinéma politique de l’intime.
Nous le notions lors du festival Cinéma du Réel en mars 2010, le rapport du documentaire au filmé semble actuellement malaisé. D’un côté une vision qu’on pourrait dire directe de l’événement (la captation frontale d’une catastrophe et ses conséquences immédiates), de l’autre le filtre d’un dispositif qui impose une distance au réel. Proximité du filmé ou proximité du cinéaste. De plus en plus, ces deux pôles s’entremêlent et Fix ME en est un exemple concret. Raed Andoni, cinéaste palestinien, décide d’entamer une psychothérapie, de la filmer et d’en faire le pilier d’un documentaire. Du début à la fin, Raed sera sujet et réalisateur, mais tout en suivant son parcours, son histoire et celle de sa famille, Fix ME fonctionne en spirale pour faire parler d’une région par quelques-uns de ses habitants.
Face caméra, la mère de Raed s’étonne : « Tu as mal à la tête et tu te filmes, mais qui cela intéresse à part toi et moi ? » C’est un mérite que de dépasser le nombrilisme et l’anecdotique. Car Fix ME passe d’un cas particulier aux universels rapports entre les membres d’une famille, puis à l’esquisse de l’appréhension d’une région. C’est cette dernière phase qui est la plus heureuse, bien que parcellaire, tant elle capte du quotidien pour rendre une relation complexe et tant stigmatisée. Les personnages d’Andoni ne se veulent pas représentatifs, mais le réalisateur a un vrai talent pour en dégager le rapport au pays, à la nation et aux questions politiques qui la traversent.
Y aura-t-il une conclusion sans appel au traitement médical ? C’est ce à quoi échappe Fix ME lorsque le réalisateur clame que le trajet compte plus que la destination. Tout le film colle à ce principe – une fin par ailleurs pratique –, à cette métaphore de la psychanalyse, évidente mais toujours bonne à être rappelée. Il s’agit donc d’une chronique, rythmée par les séances captées à travers une vitre sans tain, paravent à la schizophrénie qui pourrait guetter le patient/réalisateur. Car comment rester soi-même devant la caméra, et quel danger de n’être pas soi-même en psychothérapie ! L’astuce, voulue ou non, c’est de finalement éloigner le spectateur de Raed, malgré sa présence constante à l’écran. Plusieurs personnages apparaissent (le jeune cousin influencé par des idées anarchistes qui lui ressemble à 20 ans, de vieux activistes reconvertis), à la fois facettes de sa vie et qui sont traversés par les grandes questions de l’État palestinien. Beaux personnages, et belles thématiques, riches et larges, de l’engagement politique à la création artistique. Raed faisant la jonction, ancien détenu politique qui revendique aujourd’hui le droit à la faiblesse et l’ennui comme moteur de création, râleur comique malgré lui et personnage relativisé par une famille qui le raille avec patience.
Dommage cependant que tout cela ne soit pas creusé davantage. Est esquissée par exemple la passionnante question de l’impact mental d’un conflit sur une population civile qui le vit en lisière. Comment la force de vie agit-elle sur un être oppressé, comment les corps et le mental fonctionnent-ils dans un tel environnement ? La trajectoire de Fix ME brasse aussi large que légèrement mais souffre surtout d’une construction trop systématique : séances de psy, rencontres d’un personnage, séquences en voiture. Ces dernières, qu’Andoni construit comme des moteurs de fiction, avec une belle respatialisation de l’extérieur par les sons étouffés qui parviennent aux oreilles du conducteur, rappellent que le film de voiture ressemble presque à un genre au Moyen-Orient, avec son aspect confessionnal et ses lucarnes sur le monde, ses pics rythmiques aux check-points et ses « facilités » de tournage. Les figures qui émergent au gré des rencontres ne suffisent pas à annuler une certaine monotonie, une sensation de démarche vaine avouée vers la fin. Comme chacun le constate dans le film lors de discussions politiques, familiales ou médicales, il y a un gouffre entre la théorie et la réalité. C’est ce sur quoi se brisent les idéaux des jeunes. À un autre niveau, c’est aussi ce sur quoi bute Fix ME.