Jared Hess, roi des festivals américains en 2004 – 2005 avec son premier long métrage Napoleon Dynamite, se complaît à faire défiler les personnages plus excentriques et foldingues les uns que les autres. Les aimerait-t-il ? Cela reste à voir. Y verrait-il autre chose qu’une source d’humour facile à leur dépens ? C’est de moins en moins défendable.
La dernière fois que nous avions entendu parler de ce réalisateur, c’était à la sortie de Nacho Libre (Super Nacho) en 2006. Mais peut-être pas, en fait. Car Hess avait alors été assez intelligent pour s’effacer devant l’atout de poids du film : le redoutable Jack Black. C’était simple, il suffisait de laisser l’acteur comique s’approprier au maximum son personnage de moinillon mexicain aux rêves de lutteur, entraînant avec lui intrigue, seconds rôles et dévouement de la mise en scène, faisant du film un « Jack Black show » honorable à l’effet corrosif mesuré. Dans Gentlemen Broncos, en revanche, point de Black ni d’acteur d’acabit équivalent à l’horizon : la distribution de noms beaucoup moins envahissants laisse le champ libre au réalisateur-scénariste pour faire son show à lui et reprendre ses droits d’ « auteur ». Et en dépit des apparences, ce n’est pas très folichon.
Personnages prisonniers de l’auteur
Le héros mou de Gentlemen Broncos s’appelle Benjamin, vit dans une maison new-age avec sa mère castratrice et créatrice de mode un peu hors mode, et débride son imagination dans des écrits de S.F. pulp en hommage à son défunt père. Passif face à l’adversité, il voit sa dernière œuvre pillée deux fois : adaptée en série Z par des studios indépendants dont une associée lui fait les yeux doux, et volée par son idole/gourou de littérature S.F. en perte de vitesse. Après une série continue de déconvenues, on ne s’étonne guère que le scénario, grand prince, accorde à la fin à son loser de service le droit de prendre un peu sa vie en mains et de voir ses efforts récompensés — les personnages étant eux-mêmes aussi animés que des marionnettes qu’il exhibe et manipule à sa guise. Car tout au long de son chemin de croix, le protagoniste — que son créateur Hess a donc déclaré mou, renfermé et peu combatif, donc mûr pour se prendre crasse sur crasse — croise sur son chemin des personnages tous plus marginaux et décalés les uns que les autres, et que le film et son humour prompt à la moquerie facile identifient clairement, avec leurs bizarreries physiques (les lèvres du réalisateur de série Z) et de langage (les absconses discussions de geeks), comme des obstacles, des porte-poisse, des objets de rire à distance : mère toute à son « trip » de créatrice de vêtements, foule de geeks centrée autour d’un gourou au ton sentencieux et bientôt imposteur, « ange gardien » de bonne volonté mais dont le serpent de compagnie lui défèque dessus etc.
Dieu sait pourtant que des cinéastes — Fellini, Browning… — ont pu exprimer librement une sincère et pénétrante perception du monde à travers de semblables portraits de groupes hors normes, fantasques voire carrément difformes… Jared Hess, lui, se contente de faire rire d’eux, de l’imaginaire foutraque autour duquel on s’agite (le film dans le film, adaptation rêvée du roman de Benjamin que la mise en scène est incapable de ne traiter autrement que comme une parodie, un objet miteux dont il faudrait se moquer) et de son personnage coincé dans ce petit monde. Il en tapisse ses scènes pour délimiter un semblant d’ « univers de cinéaste singulier » en germe depuis Napoleon Dynamite, mais tout ici ne tend qu’à faire attendre que son personnage s’en extirpe et atteigne une forme conventionnelle de normalité qui soirait au statut espéré d’écrivain reconnu. Où l’on finit par reconnaître, sans illusion, les affres décidément incurables de la comédie « indépendante » américaine, qui n’a d’indépendant que l’adjectif et s’évertue à déployer des batteries de tics d’originalité pour n’aspirer qu’au conformisme. Si Hess est peut-être moins roublard que d’autres faiseurs se servant d’une étiquette de marginalité contrefaite pour faire mousser leur petit statut (ceux-là, tel un Jason Reitman, auraient déjà cligné un peu plus de l’œil aux Oscars), il ne vaut, sur le fond, pas vraiment mieux qu’eux.