Après Takeshis’, Kitano revient avec un nouvel objet cinématographique, plus proche de l’expérimental que de la fiction. C’est pourtant autour des questions du récit que naît Glory to the Filmmaker !, un film de et avec Takeshi Kitano. Composite, fou et trivial, il est un labyrinthique jeu de situations, dans lequel le spectateur désorienté tente de se repérer à coups de citations cinématographiques et d’autoréférences. Dissection de ce film hybride.
Au menu du cinéma contemporain, on a l’habitude de compter quelques bonnes lippées de films dits réflexifs. Loin de La Nuit américaine, au pays du Soleil Levant on préfère traiter des questions de scénario plutôt que des aléas du tournage. En effet, Glory to the Filmmaker ! a la particularité d’exhiber l’impulsion créatrice en adoptant le point de vue du scénariste. À l’écran, c’est Kitano dans son propre rôle qui incarne un cinéaste en bout de course, las et usé, qui cherche à trouver la bonne histoire, et qui espère un succès public.
L’écriture scénaristique consiste à partir d’une idée pour ensuite renoncer à certaines déclinaisons et finalement n’en choisir qu’une, la bonne. Le début du long métrage se construit à cette image : comme un perpétuel recommencement, il est le bout à bout sans fin d’amorces d’histoires. Pour prolonger ce postulat de « film dans le film » Kitano capitule en attestant que « tout a déjà été raconté » ; ou plutôt qu’on ne peut plus raconter sans citer. D’où un jeu de pastiches, parodie et autoréférences…à défaut de raconter une histoire, Kitano fait son Histoire du cinéma. Théâtre nô, film de sabre et science-fiction composent le mixe d’échantillons de blockbusters, liés avec une voix off omnisciente qui rend compte des réflexions du cinéaste. Nous l’avons donc compris, l’objectif de Takeshi est de rompre l’effet de vraisemblance pour nous plonger dans l’envers du décor. Ainsi, il s’agit de révéler les artifices cinématographiques, et de décliner les thèmes du factice et de la représentation. Catégorique, Kitano parcourt son propre film accompagné de son double grandeur nature en plastique sous le bras. C’est comme la traduction de sa personnalité schizophrénique : star de la télévision nippone sous le nom de Beat Takeshi il est aussi le cinéaste international qui a forgé sa renommée autour de films de « yakuza sensibles » comme Hana-Bi ou Sonatine.
D’ailleurs, il revient sur son goût pour la violence en ponctuant le film de quelques bagarres, rixes, et autres querelles. Mais cette fois, c’est en assumant le dissimulé par les moyens du catch, discipline récurrente parmi les séquences et la bande son. L’une de ces séquences, peut être la plus réussie, est le récit autobiographique de l’enfance de Kitano. À touches de références à Ozu (notamment Bonjour – ici ce n’est pas l’arrivée de la télévision qui bouleverse un village mais celle de la première voiture), on remonte les années 1950 avec la naïveté et la douceur de L’Été de Kikujiro. Le quotidien des enfants et leurs jeux sont les miroirs sociopolitiques des classes sociales régissant la société japonaise de l’époque. Kitano met en avant des inégalités toujours actuelles, en peignant un monde fou et injuste.
Car le film n’est pas dépourvu d’intention politique, si c’est une farce, le terme est à entendre avec sa portée satirique. Avec humour, on présente Hollywood comme l’empire du cinéma, dans une timide critique de la société et du capital, un peu démago et sans grande verve. Malgré des scènes comiques, avec par exemple celle de la leçon de karaté où Kitano, savoureux comme Chaplin ou Tati, s’improvise professeur, la comédie Takeshi écœure vite. Et si l’on rit, c’est souvent par épuisement ou peut-être aussi par amour pour sa trogne si spéciale. Il suffit parfois d’un plan sur ce visage impassible, juste troublé par quelques tics, pour sentir sur le nôtre un sourire qui se dessine. Glory to the Filmmaker ! est comme une chemise mise à l’envers, toutes coutures apparentes, il a un look original mais pas vraiment de classe.