Paul Greengrass, après avoir été journaliste pour la chaîne britannique ITV, s’est toujours tenu près de grandes affaires politiques et militaires. Bloody Sunday, Vol 93, ou plus à la manière d’une toile de fond son récent La Vengeance dans la peau. A priori il reste une fois encore au plus près de l’évènement puisque Green Zone se déroule autour de la recherche des armes de destruction massive en Irak en 2003. Mais il s’avère que c’est un simple cadre narratif, et que par ailleurs le film n’a ni l’habileté de La Vengeance dans la peau, ni la puissance de Vol 93.
De l’ouverture sur les premières recherches d’armes dans les faubourgs de Bagdad à la dernière scène, rien ne précise le niveau de fidélité de Paul Greengrass à l’histoire récente de l’Irak. On se souvient bien de l’argument des armes de destruction massive mis en avant par les gouvernements états-unien et britannique, on se souvient bien aussi que les hommes chargés de les débusquer n’ont rien trouvé de significatif, que les recherches ont définitivement été abandonnées en décembre 2004, et que rétrospectivement, tout concourt à considérer cet argument comme un prétexte.
Si la plupart des noms ont changé, le fil de ce qui est connu – plutôt peu de choses –, est suivi. Sur ce fil, Greengrass cible l’histoire du soldat Roy Miller (Matt Damon, en forme, dont l’aspect granitique colle bien à son personnage de soldat buté), qui se détourne de sa hiérarchie afin de comprendre pourquoi tous les renseignements concernant les ADM ne mènent qu’à des sites vides. De là une opposition claire apparaît entre l’agent officiel du gouvernement (le méchant) et un responsable de la CIA (le gentil), que Roy Miller acceptera de suivre dans sa quête de vérité. Le tout saupoudré de baasistes en reconversion, d’une journaliste piégée, de méchants mercenaires américains… Même si la recette est classique il est gênant que rien n’annonce dans le film ce que Greengrass reconnaît ouvertement dans le dossier de presse : « Il ne s’agit pas d’un film sur la guerre en Irak, mais d’un thriller dont l’action se déroule en Irak, ce qui est tout à fait différent. » En effet, mais une partie du public ne fera pas la différence, et faire de la réalité un simple ressort scénaristique contribue à une image fausse mais dominante du cinéma comme expérience univoque de divertissement. Dommage, et plus encore quand le film profite gracieusement d’une idée commune dont il a peu à faire : l’Irak a été envahie pour de mauvaises raisons. Habile récupération d’un événement pour n’en rien faire, ni dénoncer ni réfléchir. Gênant.
Matt Damon incarne une figure de héros qui se découvre. Il prend peu à peu de l’assurance, ne réfléchit jamais plus de dix secondes, file vers la vérité, rebondit sur les personnages très théoriques qu’il croise, et bien entendu finit par dénoncer la machination à la presse. Comme si cette dernière était toujours un quelconque pilier du contre-pouvoir… Difficile en écrivant ces lignes de ne pas revenir sans cesse à la réalité lorsqu’on songe à l’inversion médiatique que constituèrent exemplairement les récentes guerre du Golfe : l’absence ou la désinformation ne venait plus d’une rareté de l’image, mais de sa tendance à la surabondance. Conclure Green Zone sur un tel mode de révélation fait donc sourire.
Il n’empêche, Greengrass est un bon réalisateur, appliqué, et qui peut savoir créer une tension très efficace. Dans La Vengeance dans la peau, la scène où Damon aidait un journaliste à fuir la CIA dans une gare londonienne, non physiquement mais par un équipement technologique, était haletante sans recourir aux codes plutôt stricts de l’habituelle poursuite. Dans Green Zone, combats et poursuites sont classiques, les lieux plutôt neutres, la tension très relative et le scénario attendu. Greengrass ne parvient donc même pas à la puissance et laisse le bon soldat Damon se démener sans lui, sans public, tout seul. Un vrai héros, en somme…