Non défendu par Critikat, Douches froides, le premier long métrage d’Antony Cordier, avait suscité des commentaires élogieux dans lesquels pointait la tentation de reconnaître un nouvel espoir du cinéma français. En attendant la suite, Happy Few semble aller dans le sens de la thèse d’un auteur surestimé.
Avec un ton naturaliste et alerte, dans le mouvement des corps et de la vie, notre affaire ne commence pas trop mal. Par un moment de trouble, de fulgurante séduction entre Rachel (Marina Foïs) et Vincent (Nicolas Duvauchelle) : âge moyen, pas malheureux, plutôt bien avec leurs partenaires et leurs enfants. Un quatuor se forme ; Franck (Roschdy Zem) et Teri (Élodie Bouchez), les conjoints des personnages cités ci-dessus, entrent dans la danse lors d’une journée de farniente. Les couples s’accordent comme du papier à musique, ce qui est inauguralement suggéré, bien peu finement, par une partie de ping-pong selon les règles bien connues de la tournante. On retrouve ainsi, après un premier film focalisé sur un triangle amoureux adolescent, le questionnement du réalisateur pour la géométrie instable des configurations sentimentales. Ici les deux couples tombent spontanément en amour – hétérosexuellement parlant, avec un bref « égarement » lesbien – l’un pour l’autre, une passion autorégulée qui n’a rien d’un pacte négocié. La situation est ici limpide, personne ne va mal : « Les semaines d’après, on a continué à se partager. »
Présentée à Venise en compétition, cette fable libertine s’est sans doute ancrée auprès des festivaliers dans un imaginaire du cinéma français assez proche de la caricature. L’indécision amoureuse souffreteuse et psychologisante y laisse cependant place à un équilibre trouvé dans cet échange de partenaire, selon cette autogestion qui fait le bonheur de chacun. Jusqu’à ce que le fragile édifice vienne à se lézarder, notamment en raison d’un rappel à l’ordre de la marmaille un brin interpellée par ce singulier mélangisme. Bien entendu, Cordier n’entend pas se faire juge, encore moins flic, et l’on comprend bien où il veut en venir. À savoir filmer une utopie dans laquelle des personnages normaux – disons de la « classe moyenne » – décollent en vivant l’exceptionnel, quelque chose comme un état de grâce et une noblesse au-delà de leur condition et des schémas moraux en vigueur. C’est là où, pratiquement sur commande, on doit s’extasier : c’est un grand film politique, clap clap clap !
La mise en scène linéaire s’associe régulièrement à des voix-off plombantes – « Peut-on aimer deux personnes à la fois ? » se demande Rachel à la moitié du métrage – qui ont tendance à organiser des réitérations au premier degré entre le « vu » et le « dit ». Cette variation sur les possibles sentimentaux s’érige vite en un produit littéral et lisse, où la prétention au naturalisme est sans cesse contaminée par l’artifice – à propos duquel les acteurs ne sont pas à incriminer. Ne lésinant pourtant pas sur la nudité, le plus grand ratage du film est d’échouer à saisir ces corps dans leurs élans. Plutôt qu’un rendu sensuel, le regard glisse sur eux, du fait particulièrement de saillies dépourvues du moindre mystère. Et quand Happy Few se veut rugueux, on côtoie le ridicule – Franck se sentant méthodiquement les doigts après vous-devinez-quoi. Pour ceux qui avaient placé, après son premier long-métrage, quelque espoir en Antony Cordier, le second pourrait faire l’effet d’une douche froide. Et même, après avoir vu son second, se sentiront-ils peut-être, comme les quatre protagonistes lors d’une scène grotesque, roulés dans la farine.