Hasard du calendrier ? Quelques semaines après Intouchables, voici venir sur nos écrans un nouveau film à oser prendre comme sujet le handicap. Non content de militer, lui aussi, pour le droit du handicapé à être un sujet burlesque, Hasta la Vista aborde le thème de sa sexualité. Pourtant pas exempt de facilités, le film s’avère plutôt convaincant.
Les road-movies révoltés, c’est moins facile sur les quatre roues d’un fauteuil roulant que sur les deux d’un chopper. Pourtant, Lars, Philip et Jozef ne s’en laissent pas compter : depuis que ces trois jeunes Flamands ont appris l’existence d’un « bordel pour handicapés » en Espagne, ils n’ont de cesse de se rendre là-bas. Quitte à le cacher à leurs proches dévorés d’inquiétude, et à s’attacher les services d’une infirmière-chauffeur quelque peu iconoclaste.
Hasta la Vista se situe donc à la conjonction de la comédie hormonale (mâle, faut-il le préciser ?) et du drame social sur fond de handicap. Si la recette est inédite, l’alchimie prend bien, et pour cause : le matériel n’est pas fictionnel, les ados, même cloués dans un fauteuil ou affligés de cécité, ont des poussées d’hormones comme les autres. La grande réussite du film tient à l’homogénéité de ces deux aspects, aux accents de vérité d’un scénario qui, du même coup, fluidifie considérablement son humour. Transcendant leur condition de personnages-prétextes, Gilles De Schrijver (Lars), Tom Audernaert (Jozef) et Robrecht Vanden Thoren (Philip) donnent une vie sincère à leurs rôles – il convient d’ailleurs de souligner la performance des acteurs, qui selon toute vraisemblance ne sont pas handicapés.
Le réalisateur Geoffrey Enthoven fait siens les objets du handicap, leur donnant une existence principalement burlesque. Son regard reste cependant extérieur, sans pour autant être un œil moqueur. Son propos semble être de maintenir le spectateur dans une position inconfortable, et assez politiquement incorrecte, de voyeur. Parfois, pourtant, il va faire un usage judicieux et émouvant des gros plans : dans ces corps suppliciés, ce qui demeure vivant le serait-il plus fortement que chez les valides ?
Pour toutes ces qualités, le film n’en est pas exempt de défauts. On a parlé de facilités : certains jalons narratifs sont terriblement attendus, évoquant les plus misérabilistes des films à thèse sur le handicap. Parfois, ainsi, Hasta la Vista échoue à maintenir l’équilibre précaire entre ironie paisible et désespoir qui caractérise son humour. Et parfois, le film va parvenir à des moments de cinéma d’une grande subtilité où, soudain, les horizons s’élargissent.
On peut aisément saluer l’ampleur de l’audace de Hasta la Vista, d’oser – ce n’est pas trop tôt – traiter le handicapé comme une personne à part entière, aussi digne d’agacement que de compassion, de haine impulsive que d’amour. Mais, si l’on doit saluer quelque chose dans le film, c’est avant tout d’avoir réussi à dépasser même cela, d’être parvenu à créer des moments de réelle beauté où la question du handicap ne se pose plus, comme elle ne devrait jamais se poser.