Vous souvenez-vous de vos 13 ans ? Lorsque vous affirmiez sans ménagement que Gremlins était sans aucun doute l’un des meilleurs films de l’Histoire du cinéma ? Aujourd’hui encore, vous en rougissez un peu mais James Huth, cet éternel adolescent responsable de l’invasion de l’expression « Casséééééééééé » dans les cours de récré, est là pour vous aider à assumer cette difficile période de votre existence. Autant le carton de Brice de Nice peut aisément être attribué à Jean Dujardin, créateur du personnage et co-auteur du scénario, autant ce Hellphone est bel et bien la responsabilité de James Huth, qui est à l’origine du projet. Il était évidemment facile de craindre le pire : en s’attaquant au genre très américain du teen movie, le réalisateur tendait la joue aux critiques – et aux spectateurs – encore traumatisés par les piteux Promenons-nous dans les bois de Lionel Delplanque (film d’horreur tendance Scream) et Sexy Boys de Stéphane Kazandjian (comédie graveleuse façon American Pie), deux des rares tentatives françaises de reproduire une formule très lucrative de l’autre côté de l’Atlantique. Remisez vos préjugés au vestiaire : Hellphone est un trip aussi surprenant que secoué dans les pop corn movies des années 1980, ultra référentiel et franchement divertissant.
Jean-Baptiste Maunier, déniaisé depuis ses vocalises dans Les Choristes, incarne Sid, ado bien de son temps qui aime le skate, le rock, son meilleur pote Pierre et, surtout, la sublime Angie, la bombe de son lycée. Évidemment, elle ne le remarque même pas, trop occupée à faire du shopping avec ses deux pétasses de copines ou parader au bras de Virgile, le playboy à mèche. Pour la séduire, Sid fait l’acquisition d’un téléphone portable dans un bazar chinois, faute de moyens. Baptisé Hellphone, l’appareil va révéler d’étranges pouvoirs, et une relation passionnelle va se nouer entre l’adolescent et son mobile.
Avec Hellphone, James Huth réussit là où les (rares) autres ont échoué. Bourré de références, son film les exploite avec malice, invitant au passage les trentenaires d’aujourd’hui à un tour de train fantôme au pays des films pop corn de leur jeunesse. Au passage, ils reconnaîtront des clins d’œil très appuyés à Christine (John Carpenter, 1984), Gremlins (Joe Dante, 1984), Retour vers le futur (Robert Zemeckis, 1985) ou encore La Folle Journée de Ferris Bueller (John Hugues, 1986), autant de fantaisies dont le charme tenait en même temps à la capacité à créer du spectacle en détournant des objets ou des mythes populaires et à séduire les plus jeunes autant que leurs parents grâce à plusieurs niveaux de lecture – le plus intéressant restant le commentaire, tantôt corrosif, tantôt désabusé, de l’Amérique reaganienne. À son niveau, James Huth relève le défi : à partir d’un objet – le téléphone portable – devenu phénomène sociologique autant qu’accessoire de mode et par extension, symbole très fort d’appartenance à une classe sociale, le réalisateur ne se gêne pas pour tirer sur tout ce qui l’agace. Ce n’est pas pour rien que l’action se déroule en plein cœur de Paris, dans les couloirs d’un lycée qui ressemble très fort au huppé Henri IV : Sid est un anti-héros fauché et sans portable qui doit composer avec les crétins hyper-lookés (les codes vestimentaires sont étudiés de manière très crédible) et over-friqués de l’établissement. La mère de Sid est une ancienne anar divorcée et très sympathique dont le rêve ultime est de se payer un voyage à Cuba ; son père – qui restera hors champ – est parti avec un autre homme. Les insupportables petits bourgeois homophobes qui ont pris Sid en grippe feront évidemment les frais de la fureur du Hellphone. Malin, James Huth ne stigmatise pas pour autant l’argent ou la réussite sociale : le meilleur ami de Sid, Pierre, est issu d’une famille riche comme Crésus, et la belle Angie habite dans une maison d’architecte à faire pâlir les magazines de déco. Mais comme dans tout conte de fée moderne, peu importe le statut social : à la fin, the good guy gets the girl.
Tout comme ses pairs américains, James Huth a aussi l’excellente idée d’ancrer son récit dans un contexte familier, immédiatement identifiable, s’offrant ainsi une base suffisamment réaliste pour oser les délires les plus fous. Nos héros traversent un Paris circonscrit aux bords de Seine, à Notre-Dame, au Panthéon, aux rues du quartier Latin, aux voies sur berges et même aux cinémas Action, dans lequel l’insertion de décors américains très cinégéniques – une boutique de skate, un bazar chinois tout droit sorti de Chinatown et de Gremlins, un fast-food – peut se voir comme une métaphore : celle de l’intrusion du cinéma de genre, une culture a priori américaine pleine de couleurs et gentiment vulgaire, dans un patrimoine français officiel, un brin figé. Peut-on y lire une tentative de réconciliation des francs-tireurs du cinéma bis US et des héritiers de la Nouvelle Vague ? La théorie est tentante.
Évidemment, pour ce qui est des dialogues, James Huth ne cherche pas à faire dans la littérature. Mais bien qu’à l’opposé d’un Abdellatif Kechiche qui accomplissait avec L’Esquive un superbe travail linguistique autour de la culture de banlieue, le réalisateur et ses co-scénaristes alignent les répliques qui font mouche avec une connaissance accrue des codes du langage adolescent. Le rire est gras et l’humour potache mais le cinéaste assume, aidé il est vrai par le débit mitraillette de tous les excellents jeunes comédiens – mention spéciale à Benjamin Jungers dans le rôle de Pierre. De même, les nombreux effets spéciaux du film sont parfaitement réussis, en premier lieu le design de ce fameux téléphone portable — bonjour les produits dérivés… Entre une mise en scène très MTV et des gags qui s’adressent principalement à la génération Jackass, ce pur divertissement se consomme comme un MacDo. Pourtant, sous son apparente futilité, Hellphone est un film soigné, signé par un vrai cinéphile, dont on guettera le prochain projet avec curiosité…