Du haut de sa tour, le roi de Heartland veille au bon fonctionnement de son royaume : des milliers d’ouvriers, coincés dans les embouteillages, se ruent chaque jour dans son immense usine afin d’y fabriquer de nouvelles automobiles. Celles-ci serviront, notamment, aux trajets des ouvriers eux-mêmes, premiers consommateurs de leur production. Cette belle introduction nous plonge ainsi dans un monde sombre, absurde, se situant quelque part entre du Miyazaki (la ville très européenne), le Magicien d’Oz, et Metropolis. De belles promesses se dessinent autour de ce monde d’adultes quasi horrifique, création de toutes pièces d’une adolescente qui a peur de l’avenir.
En effet, ce monde est imaginaire : il s’agit des rêves de Kokoné, une lycéenne somnolente vivant avec son père depuis le décès de sa mère. À la fois réalisatrice et actrice de ses songeries, elle se donne le rôle de la sorcière dont la magie perturbe le fonctionnement de cet univers bien huilé, au grand désarroi du roi. Le cadre est posé : Hirune Hime navigue alors entre les deux mondes, qui deviennent de plus en plus poreux au fil de l’avancée du film. Les événements de la réalité se résolvent en rêve, et les révélations du rêve viennent en retour éclairer de sens la réalité. Le postulat, bien exploité, offre au film des moments émouvants, mais souffre malgré tout du sérieux manque d’épaisseur du scénario.
Jeux d’échelles
Dans la première partie du film, il est entre autre question dans Hirune Hime de rapport à la technologie. Source de progrès, de magie, d’emploi, elle fait fonctionner le monde, mais ne l’empêche pas de se retrouver menacé par ce que Kokoné se représente comme un immense démon avalant tout sur son passage. Cette imagerie abominable de la crise (voire du déclin et de la mort dans certaines scènes) se révèle invincible face aux armes que le roi fabrique. À échelle de la vie de Kokoné, comme dans sa rêverie à échelle d’un pays entier, il s’agit alors de trouver comment aller de l’avant pour vaincre un traumatisme passé (le décès de la mère, et les catastrophes technologiques du passé, ouvertement reliés).
Mais alors que tout le film annonce une métaphore sur le passage à l’âge adulte, une surprenante bifurcation le recentre sur la question de la « magie technologique », et vient réduire l’ensemble à un plaidoyer enflammé pour la foi dans le progrès. Pourquoi pas après tout, mais l’on perd irrémédiablement en humanité ce que l’on gagne en invitation à un optimisme sans faille. La technologie est alors présentée comme la solution à tous les obstacles, dès lors qu’elle tombe entre de bonnes mains, et qu’elle redevient un rêve au service d’entreprises familiales, seules garantes de la confiance et de la transmission entre générations. Le film se réduit ainsi de plus en plus à son discours, s’attardant tout particulièrement sur les voitures autonomes, symboles de ce renouveau de l’industrie et de la société japonaise, affichée au monde lors des Jeux Olympiques de 2020. Malgré de très belles scènes et ses jolies séquences muettes de générique de fin (rappelant la célèbre introduction de Là-Haut), Hirune Hime abandonne ainsi peu à peu ses personnages pour se focaliser sur un propos lénifiant. Il y avait vraiment de quoi espérer beaucoup mieux.