Après Shutter Island, qui révélait au grand jour la mauvaise santé de son cinéma, Scorsese nous livre aujourd’hui un film en 3D pour les fêtes de Noël. Si ça commence à sentir un peu le sapin, il faut avouer que le film comprend quelques fulgurances qui démontrent que l’art du réalisateur n’est pas mort. L’ensemble reste pourtant loin de ce que l’on peut réellement attendre de son talent.
Depuis plusieurs années, Martin Scorsese connaît une panne d’inspiration abyssale, liée en partie à sa volonté un peu vaine de rendre un hommage stricto sensu au cinéma classique hollywoodien. Ses films les plus récents ressemblent à des objets référentiels dénués de personnalité, fonctionnant sur des effets de mise en scène mécaniques. Le caricatural Shutter Island avait confirmé que l’auteur des Affranchis et de Taxi Driver n’était plus que l’ombre de lui-même. On l’attendait donc au tournant avec Hugo Cabret, projet qui s’inscrit à nouveau dans son envie folle de devenir une sorte d’encyclopédie vivante du septième art. Cette fois-ci, c’est Méliès qui est mis à l’honneur par le biais d’un scénario adaptant un roman de Brian Selznick : l’histoire d’Hugo, un jeune orphelin vivant dans le Paris des années 1930, qui cherche désespérément la clef pouvant activer un automate légué par son père. Cloîtré dans la gare Montparnasse, l’enfant rencontre par hasard Georges Méliès (interprété par Ben Kingsley), dont l’œuvre est tombée dans l’anonymat le plus complet. Avec ce sujet qui relève du conte – assez inhabituel chez Scorsese – on pouvait s’attendre à un déferlement de symboles et de fantasmagories.
C’est en partie le cas : la mise en scène s’avère parfois pertinente, notamment dans la métaphore filée des rouages créatifs du cinéma (assemblage d’animé et d’inanimé ; d’humains et de machines), reposant sur un motif récurrent du mécanisme quasi-organique (incarné par la figure de l’automate). On ressent également l’amour que le cinéaste porte à Méliès, dont il reconstitue très bien les bandes les plus célèbres – sûrement les séquences les plus réussies du métrage. Le film comprend des propositions intéressantes, surtout dans son aspect autobiographique : Hugo semble être le double de Scorsese, un enfant émerveillé par la technique, qui souhaite donner vie à ses songes ; il ne cesse de regarder le monde par le biais d’ouvertures, comme un cinéaste qui capte des images avec sa caméra ; il use également des machines pour produire du rêve, le cinéma pouvant guérir les âmes en peine. Le travail numérique d’orfèvre sur les images et la 3D apparaît également cohérent, Scorsese s’inscrivant dans une filiation avec le magicien Méliès. Mais, malgré ses quelques qualités, Hugo Cabret apparaît dans l’ensemble excessivement mécanique et sage.
Le cinéaste semble trop préoccupé par l’aspect technique de son film, entièrement retravaillé en post-production, et oublie ainsi de donner un peu de magie et de sens au tout. Les bonnes idées s’intègrent dans une structure surchargée d’effets et globalement déséquilibrée. Ce constat s’applique au rythme du métrage, qui est alourdi par des redondances scénaristiques embarrassantes. Le caractère machinal d’Hugo Cabret s’exprime par des personnages qui ressemblent eux-mêmes à des automates, les acteurs livrant des prestations froides et désincarnées. L’oscar est attribué au fatigant Ben Kingsley, qui nous ressort toute sa panoplie d’émotions précalculées. Si dans sa conception et ses intentions, ce conte se révèle meilleur que les dernières œuvres du réalisateur, il manque simplement de spontanéité et d’un vrai souffle créateur.
Les plans et les séquences féeriques, parfois très belles, s’insèrent de façon trop parcellaire dans un schéma narratif sans surprises, fait de personnages secondaires mal exploités – les saynètes autour du chef de gare interprété par Sacha Baron Cohen s’avèrent assez inutiles. Le cinéaste semble constamment perdu dans ce monde enfantin où il cherche à se projeter comme auteur, sans réussir à maîtriser complètement une machinerie cinématographique qui fonctionne en mode automatique. Si les reconstitutions des films de Méliès sont impressionnantes, elles symbolisent aussi le virage qu’a pris l’œuvre de Scorsese depuis plusieurs années : un cinéma de la reproduction et du simple hommage, dénué d’originalité. L’historien apparaît totalement débordé par ses archives. Étrange de la part d’un homme qui a longtemps été assimilé au renouveau du cinéma américain dans les années 1970 et 1980, et qui finit aujourd’hui par réaliser des films assez conventionnels pour les fêtes de fin d’année. Bien que Scorsese ait encore quelques idées cinématographiques intéressantes à proposer, son cinéma connaît une régression vraiment inquiétante.