Le Royaume-Uni n’est pas le dernier pays à sacrifier, avec force démonstration, à la tradition du néo-polar crapoteux. C’est porteur de cette estampille que Hyena, second long métrage de Gerard Johnson, s’est fait remarquer un peu partout, s’attirant même les louanges d’un certain Nicolas Winding Refn — mention incitant à la prudence, venant du maniériste responsable de Bronson, Drive et Only God Forgives. Grossièrement résumé, Hyena apparaît comme une sorte de Bad Lieutenant londonien au pluriel. Un quatuor de policiers est habitué à croquer allègrement dans le trafic de drogue, faisant le coup de poing à l’occasion : une affaire qui roule. Les choses commencent à se gâter quand l’un d’eux, Michael Logan, suite au meurtre brutal d’un partenaire avec qui il trafiquait dans son coin, se mêle du business d’un gang albanais encore moins tendre qu’eux et faisant, lui, dans la traite des Blanches.
L’idée maîtresse du film, ce qui lui constitue une noirceur de fond derrière celle de son imagerie, fait du neuf avec du vieux en recyclant un adage antique. « Il n’y a pas d’honneur entre voleurs » : encore moins, ajoute-t-il, entre flics ripoux (en incluant les zélés des Affaires internes), tous s’avérant in fine enclins à tirer dans les pattes du voisin dès que la stabilité de leur petit système est menacée, ou simplement qu’un seul d’entre eux s’avise de vouloir gonfler sa part du gâteau. C’est fascinant comme peut l’être le spectacle de la corruption de l’ordre établi, mais ce n’est pas très neuf ni ne creuse très loin — sauf à conduire à un finale en forme d’impasse saisissante (quoiqu’un peu trop appuyée par la musique) où Logan, s’étant peu à peu coupé du monde à force de jouer en solo et de chercher quelque chose entre rédemption et échappatoire, se retrouve paralysé face à un dilemme, faute de volonté suffisante pour mobiliser en lui quelque sens moral.
Fascination calculée
Pour en arriver à cet ultime et vrai moment de trouble, il faut tout de même passer par de longues phases de suspicion concernant la position du cinéaste vis-à-vis de la violence et du sordide qu’il filme. Johnson joue constamment entre répulsion, fascination et conscience de mettre en scène la fascination, entre images crues d’intérieurs sales et éclairages filtrés d’établissements de la nuit, filmant frontalement un viol mais aussi un trio d’hommes baraqués torse nu tandis qu’ils découpent un cadavre (en se fendant d’un gros plan sur un membre vibrant sous la scie). Plus que l’effet choc des images, c’est ce jeu constant qui incite à se demander s’il reflète des interrogations réelles sur notre rapport au Mal ou les facéties d’un m’as-tu-vu, à la manière des modèles avoués du réalisateur : Nicolas Winding Refn justement, mais aussi un autre que le Danois lui-même invoque à l’occasion, Gaspar Noé.
La balance penche d’autant plus du mauvais côté que derrière cette imagerie, le film fonctionne sur quelques grossières facilités, se basant notamment sur une hiérarchie des crimes et délits pour caractériser et même appuyer une distinction des sympathies envers les criminels. Des flics britanniques en bande qui dealent, rackettent et tabassent paraîtront évidemment, surtout si à côté ils se comportent en ados immatures (notamment dans des scènes de défonce appelant une certaine complaisance), sous un jour plus sympathique que des truands étrangers qui prostituent, tuent au couteau de cuisine et coupent en morceaux en arborant, comme il se doit, des têtes à faire peur. Tout au plus le tableau de la bande de flics s’assombrit-il dès que celle-ci se délite, et les échanges des truands en albanais se rapprochent-ils parfois de commentaires en contrepoint des actes de l’antihéros Logan. Pour autant, cela ne dissipe pas tout à fait le soupçon que le regard de Johnson sur toute cette corruption serait moins celle d’un cinéaste attentif à cette réalité du monde que celle d’un petit malin — comme il en pullule dans le néo-polar outre-Manche. Difficile de ne voir que comme une coïncidence le fait que deux des interprètes du film, Neil Maskell et MyAnna Buring, étaient précédemment ensemble à l’affiche du bidon Kill List de Ben Wheatley.