Fans du Tim Burton de la première heure, réjouissez-vous ! Loin des errements semi-osés du morbide choupinet de L’Étrange Noël de Mister Jack, c’est plutôt dans la veine vacharde de Beetlejuice que se situe cet Igor écrit par un inconnu, réalisé par un inconnu, et sorti à tort comme un conte de Noël pour toute la famille. Résolument adulte, le conte de d’Anthony Leondis et Chris McKenna joue a fond la carte d’un humour noir et macabre. Tant mieux pour les fans du genre… et tant pis pour les têtes blondes en quête d’un gentillet conte pour s’endormir au pied du sapin !
Je ne l’apprendrai qu’aux plus distraits d’entre vous : c’est la crise. Mondiale. Et donc, dans le riant pays de Malaria (si), lorsque la crise frappe, un malveillant devient président-dictateur en proposant une solution à la crise : devenir le pays producteur du plus de Savants Fous au monde – et rançonner les autres pays pour ne pas libérer sur le monde leurs malveillantes inventions. Cela marche très bien. Et qui dit Savants Fous, dit Laborantins Difformes et Bossus, autrement dit, dans la grande tradition frankensteinienne, des Igor. Parmi les Savants Fous de Malaria, le professeur Glickenstein est un raté notoire, incapable d’avoir jamais remporté la très importante Grande Foire des Sciences du Mal qui consacre chaque année l’invention la plus maléfique. Le jour où le professeur se voit vaporisé par sa dernière tentative, son assistant bossu, étonnamment prénommé Igor, saisit la balle au bond pour devenir le plus grand des savants fous, en insufflant la vie dans un monstre redoutable. Problème : une fois animé, le monstre se révèle être parfaitement gentil, et de plus aspirer à devenir une actrice de comédie musicale.
La parenté entre Igor et l’univers de Tim Burton – particulièrement L’Étrange Noël de Mister Jack, Les Noces funèbres et Vincent – saute aux yeux dès les premières images : univers totalement stylisé, donnant à l’envi dans le sombre et le morbide, mais gardant pourtant une cohérence, un besoin d’existence très proche de notre monde à nous. Mais là où Burton choisit de faire jouer les différences entre les deux univers pour désamorcer l’aspect véritablement ténébreux de son univers (ce qui coûte notamment son âme au Mister Jack d’Henry Selick), Igor ne s’embarrasse aucunement de telles pudeurs, et donne à fond dans une similitude avec nos références quotidiennes qui constitue la grande qualité du film.
Le bestiaire d’Igor est ainsi très tangible : un lapin nécroanimé et pas plus heureux que ça qui passe son temps à tenter de se suicider (et à se régénérer), un cerveau-dans-le-formol (« Vous voyez les cerveaux de génie qu’on tente de préserver de la mort ? Ben c’est pas ce genre de cerveau-là. »), un homme invisible exhibitionniste et qui passe donc son temps avec une unique veste de costume et rien d’autre… Igor ne prend donc aucunement soin de créer son propre univers, se contentant de reprendre, de prolonger le nôtre, et de donner dans l’humour noir le plus méchant – et donc le plus efficace – qui soit : les tentatives répétées de suicide du lapin (Steve Buscemi, impayable), les perles de dialogues (notamment la chorale d’enfants aveugles chantant « I can see clearly now » (« je vois clair maintenant »), ou les sorties diverses du cerveau crétin…), les références et métaphores politico-sociales subtiles (ou pas), le côté cartoon destructeur parfaitement assumé…
Certes, Igor ne brille pas par l’originalité de sa conclusion, bien lénifiante, non plus que par sa structure scénaristique, sorte de calque du mètre-étalon de l’animation informatique made in USA (voir n’importe quel Shrek et/ou plus généralement DreamWorks pour ça). Cela étant, une telle charge d’humour noir et absolument pas politiquement correct mérite le coup d’œil des amateurs – mais résolument adultes, car il y a fort à parier que la méchanceté et grivoiserie du film laissent sur le carreau les plus jeunes.