Les affiches, la bande-annonce, le casting : tout suggère que In Her Shoes est un énième avatar de la vague des « chick flicks » (littéralement, « films de nanas »), dernière folie en vogue à Hollywood depuis le succès du Journal de Bridget Jones. Des films s’adressant à un public exclusivement féminin, mettant en scène des histoires d’accomplissement personnel et professionnel post-féministes renvoyant plus au marketing simpliste du « Girl Power » façon Spice Girls qu’à un véritable engagement politique. À la télévision, où le format des séries télévisées autorise plus d’audace, les aventures de Carrie Bradshaw et ses copines dans Sex & the City réussissaient, entre deux scènes de shopping, à rendre compte avec humour d’une certaine réalité (le quotidien des femmes trentenaires, urbaines et CSP +, tiraillées entre fantasme du Prince Charmant et affranchissement du modèle maternel et des schémas machistes).
In Her Shoes est adapté d’un best-seller de Jennifer Weiner, auteur star de la « chick lit » (équivalent littéraire des chick flicks). À juste titre, l’histoire de ces deux sœurs trentenaires que tout oppose peut faire craindre le pire. Mais la présence de Curtis Hanson derrière la caméra intrigue. Réalisateur médiocre au début des années 1990, il a surpris en 1997 avec l’excellente adaptation d’un polar de James Ellroy, L.A. Confidential, suivie par deux films moins intéressants mais tout à fait honorables, Wonder Boys (2000) et 8 Mile (la biographie romancée d’Eminem, en 2002).
Qu’est-ce qui a pu intéresser Curtis Hanson dans ce projet a priori peu engageant ? La première demie-heure de In Her Shoes apporte un début de réponse. On retrouve dès le générique les codes de ces comédies « célibattantes » : gros plan sur des pieds féminins passant différents escarpins sur fond de pop branchée. Mais la suite est nettement moins glamour et la patte du cinéaste est bien visible. Filmé caméra à l’épaule, le quotidien des deux sœurs fâchées est dépeint crûment, sans fioritures ni complaisance, dans de longues scènes où les silences ont leur importance. On est loin des magazines de mode ; la façon dont Hanson filme ses actrices en atteste. Abonnée aux rôles de ravissantes idiotes, qui constituent l’essentiel de sa filmographie (de Mary à tout prix à Drôles de dames en passant par Le Mariage de mon meilleur ami et Une vie moins ordinaire), Cameron Diaz trouve ici l’occasion d’en explorer le revers, et cette noirceur lui va bien. Maggie, son personnage, est une bimbo dyslexique qui vit aux crochets des autres, pique dans les porte-monnaies et s’envoie en l’air avec le premier inconnu pour oublier son complexe d’infériorité. Hanson joue sur le contraste entre le corps sublime de son actrice et son visage étrangement marqué, comme celui de la jolie fille dont on devine, à l’approche de la trentaine, qu’elle a un peu trop abusé des soirées arrosées. Idem pour Toni Collette qui fait son miel de Rose, un personnage d’avocate coincée cachant une sordide solitude : loin d’en faire la victime de sa sœur trop jolie, elle met au contraire l’accent sur sa cruauté et son égoïsme. La cohabitation des deux sœurs dans les premières scènes du film va de mal en pis, culminant en une confrontation d’une violence étonnante.
Malheureusement, In Her Shoes est un produit, calibré pour correspondre aux exigences de ce que les producteurs croient connaître des goûts du public. Après leur dispute, les deux sœurs se séparent et le film se transforme en deux sitcoms bien distinctes : Maggie apprend par hasard que sa grand-mère (Shirley MacLaine) n’est pas morte comme elle le pensait mais résidente d’une maison de retraite de luxe dans le sud du pays. Elle court la rejoindre et apprendra, à son contact, à s’assumer et à explorer les talents cachés qu’elle ignorait posséder. Rose, elle, abandonne son emploi trop stressant, découvre l’amour dans les bras d’un ancien collègue et se réconciliera avec elle-même en même temps qu’avec sa sœur. À ce stade du film, la guimauve a englué l’écran et le rose bonbon promis par les outils promotionnels de la Fox, qui produit In Her Shoes, a définitivement repris ses droits. On peut prendre un certain plaisir à se caler dans son fauteuil et pleurer allègrement devant les mésaventures de nos deux héroïnes (après tout, le cinéma sert parfois aussi à ça), mais ce que Curtis Hanson nous laissait entrevoir dans les premières scènes laisse un goût désagréable d’inachevé. À moins que ce ne soit tout ce sucre qui donne un peu la gerbe.