Drôle de destin que celui d’Independence Day de Roland Emmerich (1996), qui semble avoir marqué une étape fondamentale dans la consolidation de certaines figures archétypales du blockbuster contemporain – ce rayon vert qui anéantit des villes, c’est celui désormais des Avengers, Man of Steel et consorts –, et qui pourtant fut presque immédiatement ringardisé par la sortie, à peine quelques mois plus tard, de sa parodie officieuse, le Mars Attacks ! de Tim Burton. Ce double devenir prophétique et obsolète tient à la nature même du cœur composite du projet, qui réactive une imagerie rétro (Roswell, la zone 51) tout en se nourrissant des moyens pyrotechniques de son époque. Si ce nouveau volet, qui débarque sur nos écrans vingt ans après le premier, permet de mesurer l’évolution technique du blockbuster au cours de cette période – évolution inscrite dans le récit, avec la modernisation accélérée de la Terre grâce à la réappropriation de la technologie alien –, il semble aussi entériner son incapacité à investir davantage un genre dont Emmerich fut le roi et qui innerve la plupart des blockbusters aujourd’hui, celui du destruction porn, où matières et corps, réduits à l’état de pixels, sont brassés dans un grand feu d’artifice numérique. Le film semble comme condamné à passer après ses propres enfants, et se recroqueville donc, après une pachydermique séquence de destruction où un gigantesque vaisseau-tarentule atterrit sur une large partie du globe terrestre, sur un petit point dans le désert du Nevada : la fameuse zone 51.
La reine castratrice
Mythe de toute un pan de la science-fiction, le décor a pour principale caractéristique que le temps n’y a pas prise : le médecin attaqué dans le premier volet s’y réveille après vingt ans de coma, le président de l’époque y retrouve sa verve d’orateur et son étoffe de héros sacrificiel, tandis que les aliens survivants de la défaite végètent dans l’attente du grand retour de leur espèce. Ce repli du blockbuster dans sa forme la plus ample sur un petit film d’aventures aux accents Z peuplé de personnages détraqués est ce qui fait, en partie, la réussite modeste du film, très amusant dans sa peinture d’un monde contaminé peu à peu, jusqu’au délire, par une pulsion virile de toute puissance et la hantise de sa remise en cause. On se souvient que le premier volet, déjà pas avare en métaphores phalliques (le rituel des cigares du personnage de Will Smith, la déferlante de fusils et de drapeaux, les missiles qui perforaient ultimement les adversaires), s’arcboutait autour de la destruction du « vaisseau-mère ». Ici, l’ennemi est de nouveau une figure féminine, une « reine » démoniaque. Mais le film ajoute un élément savoureux, qui vient perturber l’impression d’assister à une simple redite : peu avant le déferlement des extra-terrestres, un autre vaisseau apparaît, renfermant une petite boule blanche. Cette boule, on l’apprendra, est le dernier représentant de la seule espèce capable de mettre fin à la tyrannie destructrice des aliens. Dès lors, la reine, non contente de vouloir détruire la Terre en drainant son noyau, aura pour mission de s’emparer de son ennemi, terré dans la zone 51. Un noyau et une boule attaquée par une mère monstrueuse qui, en mourant, s’auto-accouchera de son armure protectrice dans un déferlement de matières bien entendu repoussantes : inutile d’expliciter quel effroi masculin, poussé à une telle exagération qu’il en devient cocasse, anime en sous-main le film. Un plan, qui entérine ce réjouissant mauvais goût (à condition, bien sûr, d’être sensible au plaisir un peu coupable que l’on peut éprouver devant une série Z), enfonce le clou : alors que le vaisseau gigantesque fuit et prend son envol, le film nous montre un Paris complètement dévasté, écrabouillé par la masse métallique… à l’exception de la Tour Eiffel, qui elle se tient droite et tendue, défiant l’envahisseur. C’est par sa part comique que Independence Day : Resurgence s’avère ainsi, à défaut d’autre chose, un divertissement qui remplit son contrat.