Nancy, une jeune surfeuse américaine, part loin de son Texas natal pour arpenter le sable d’une plage secrète jadis fréquentée par sa mère, récemment décédée d’un cancer. Bordé par une île dont la forme évoque, selon les protagonistes eux-mêmes, celle d’une femme enceinte, ce décor qui sert de lieu à l’action d’Instinct de survie – The Shallows dit bien, voire même martèle l’horizon de cette petite série B estivale : il s’agit, comme pour au fond tout récit de survival, de l’histoire de la renaissance d’un personnage en immersion dans un environnement sauvage et dangereux. En l’occurrence le danger a une forme très précise, celle d’un requin particulièrement vorace. Ce double titre français met ainsi en exergue la spécificité du film, qui fait marier deux genres hyper codifiés (le survival et le film de squales) pour un résultat qui brasse un peu tous les possibles du « film de requin », des Dents de la mer de Steven Spielberg aux nanars Asylum et consorts qui pullulent sur les chaînes de la TNT.
La créature elle-même, parfois impressionnante de réalisme, apparaît aussi dans d’autres scènes comme une très approximative entité de synthèse, comme si la chose portait dans sa chair même la schizophrénie du film, capable de faire passer en l’espace de quelques secondes d’un état de terreur suffocante à une franche d’hilarité face au ridicule de certaines situations. On dit bien « la créature », car dans cet imaginaire cinématographique le requin est moins un animal qu’une pure création filmique, un monstre du monde des profondeurs, celui du grand invisible, dont le surgissement à la surface s’accompagne d’un reflux de violence et d’horreur. En cela, le film paie dans un premier temps plutôt bien son tribut au maître-étalon du genre, Les Dents de la mer, qui mettait en scène, jusque dans sa structure narrative coupée en deux, un grand affrontement entre la terre et la mer, la surface et les profondeurs, le visible et l’invisible. Ce qui explique que même si The Shallows se complaît d’emblée dans une esthétique très affectée – ralentis et flous caractérisant les scènes de surf, filtres colorés, cadres composés pour mettre en valeur la plastique de Blake Lively –, il parvient toutefois à une réelle efficacité lorsqu’il s’en remet à ce programme minimal mais terrifiant : la confrontation d’un individu à un monstre capable à n’importe quel moment de surgir de l’ombre pour happer ses victimes dans un oubli sanglant.
Entre deux mondes
Une scène traduit très bien les deux voies possibles pour mettre en scène cette rencontre. Alors que Nancy, déjà bien mal en point, est coincée sur un récif, deux surfeurs se lancent à sa rescousse sans savoir ce qui grouille sous eux. L’un disparaîtra à la faveur d’un surgissement très spectaculaire du squale hors de la surface ; l’autre, au contraire, s’effacera au loin sous une vaguelette qui masque le champ de vision de l’héroïne, avant que son corps agonisant ne tente quelques secondes plus tard de s’extraire des profondeurs pour revenir dans le monde visible. Tel est le dilemme du requin, le même qui se jouait dans la scission en deux des Dents de la mer : attaquer sa proie en restant masqué, ou bien quitter le monde des profondeurs pour l’attraper. Beau programme minimaliste jouant sur la tension propre de l’horreur entre montrer et cacher, en principe parfaitement raccord avec la modestie de la narration de The Shallows, mais que le film délaisse en rajoutant des péripéties assez superflues – l’apparition d’un local puni pour un larcin –, et des effets spéciaux simplement lamentables – par exemple, un champ de méduses que vient percuter la bestiole. Autour de ce fil ténu, c’est toute une armature plastique – écrans et photos de portables incrustés, chronomètres qui défilent, plans depuis les profondeurs qui contrairement à ceux des Dents de la mer n’incarnent aucun point de vue – qui vient perturber et alourdir la ligne claire que demandait pareil projet. On passe sur la fin, et la mort (absolument grotesque, vraiment) du monstre aquatique : décidément, tous les rejetons des Dents de la mer semblent buter sur l’impossibilité de dépasser leur modèle.