En s’intéressant au parcours de deux femmes israéliennes victimes du même violeur en série et qui, plus de trente ans après les faits, se retrouvent au carrefour de leur existence, le réalisateur souhaitait probablement faire plus qu’un film à thèse. Seulement, à force d’entremêler les problématiques, Invisible finit par ne rien produire de plus qu’une théorie vaguement politique et féministe.
Des films sur le viol, le septième art en a produit quelques-uns d’oubliables, le plus fameux (et pas le moins putassier) étant probablement Les Accusés de Jonathan Kaplan (1988). La grande difficulté du film à thèse – puisqu’il embrasse souvent des questions politiques, morales ou sociétales – est de pouvoir s’affranchir de la lourdeur de son sujet pour que les années ne le ringardisent pas trop. Mais il pose surtout un enjeu de cinéma : à qui s’adresse-t-il ? Quel regard tente-t-on de diriger ? Quel public essaie-t-on de faire réagir ? Dans L’Amour violé (1977), Yannick Bellon avait tenu son pari : en captant la révolution féministe en marche dans les années 1970, elle acceptait de faire de son film un pur produit militant de son époque et permettait à celui-ci, en dépit de quelques lourdeurs scénaristiques, de rester un objet toujours intrigant à découvrir, près de quarante ans après sa sortie. C’est probablement cette volonté d’embrasser un contexte sociopolitique qui a conduit Michal Aviad à entremêler la question de la nécessaire reconstruction psychologique suite à un viol et l’incessant conflit israélo-palestinien comme si, au fond, tout ne résultait que d’un rapport dominants/dominés : les hommes contre les femmes, les violeurs contre les victimes, Israël contre la Palestine.
Le raccourci semble un peu grossier mais en dépit de ce programme qui s’annonce ultra-chargé, le réalisateur a le bon sens de ne jamais sombrer dans une surenchère douteuse qui aurait pu rendre le film antipathique. Avec une économie un brin trop volontariste, Invisible préfère le non-dit au coup d’éclat, le statisme de la plupart de ses plans à une débauche d’effets. Cette austérité se remarque même dans la photo, grisâtre et délavée, qui ne semble offrir aucune porte de sortie vers davantage de luminosité. Si le parti pris n’est pas franchement séduisant, la caméra trouve par ce biais une juste distance avec ses deux personnages principaux, évitant de jouer la carte de la dignité souvent mise en scène avec cette condescendance que beaucoup trop de réalisateurs-démiurges s’accordent. Après tout, le chemin que dessine Michal Aviad pour Nira, réalisatrice de télévision et mère célibataire, et Lily, militante de gauche et mère de deux grands enfants avec qui elle n’arrive plus à communiquer sereinement, est celui de la reconquête (corporelle, sexuelle, maternelle, politique).
Pourtant, malgré les pièges qu’Invisible parvient à éviter, quelque chose ne fonctionne pas. Est-ce le hasard de ces retrouvailles – trop téléphonées – qui n’offre pas le terrain idéal pour que l’on croie à cette tortueuse quête introspective menée de concert ? Est-ce l’opposition trop schématique entre ces deux femmes (l’une a fini par faire abstraction de ses désirs, l’autre a investi son refus de l’injustice dans un combat pro-palestinien) qui frôle la désincarnation ? Est-ce le parallèle un peu trop appuyé entre un ancestral conflit politique et la dénonciation d’une société patriarcale qui ne donne pas à la femme la place qui lui revient ? Si l’ensemble de ces thèmes méritent qu’on les traite, le film aurait néanmoins gagné à ne pas rappeler en marge de chacune de ces scènes la théorie qu’il entend énoncer. Les scènes familiales autour du personnage de Lily sont les plus symptomatiques de cette volonté trop démonstrative à faire en sorte que chaque détail, chaque mot et chaque silence fassent sens pour le spectateur. Plutôt que de permettre à Invisible d’atteindre l’ampleur espérée, cette volonté de bien faire amène le film à se recroqueviller sur lui-même et le rend, en dépit de la force de son sujet, trop anecdotique.