Constance, agent immobilier interprété par Marina Foïs, squatte un appartement destiné à la vente après avoir perdu son emploi et cherche à quitter Paris pour son village natal afin d’y rebondir. Ainsi débute Irréprochable, et c’est cette base scénaristique, qui démarre sur une quête purement matérielle (logement, stabilisation financière) que le cinéaste, Sébastien Marnier, va décliner jusqu’à l’absurde et finalement l’horreur. Entre comédie et drame, le film, en racontant la féroce concurrence des employés sur le marché du travail, côtoie également le thriller inquiétant. Malgré cette palette de registres, Irréprochable réduit toutefois son champ de vision à la peinture du personnage principal, épousant par là un chemin scénaristique clair et précis, qui ne s’éparpille pas inutilement, tout en réussissant à surprendre son auditoire.
Le scénario a presque quelque chose de mécanique dans sa volonté de semer des pistes narratives qui auront leur utilité plus tard dans le récit : aucune révélation n’intervient sans que les éléments diégétiques qui les composent ne soient préalablement introduits. Les scènes doivent être alors considérées comme les fils d’une toile d’araignée : si elles paraissent parfois anodines, elles se révèlent finalement faire partie d’un ensemble compact composant le portrait du personnage principal. Quand Constance redécouvre les dessins de pénis de ses ex-compagnons dans son ancienne chambre, scène qui apparaît d’abord banale, c’est toute sa dimension obsessionnelle qui est introduite, malgré la trivialité de la situation.
De prime abord, on serait tenté de penser que Sébastien Marnier n’est intéressé que par l’imitation ou le détournement de genres à rebondissements extrêmement codifiés, et notamment ceux du thriller, jusqu’à en reprendre certains motifs visuels – les néons flashy dans la voiture de Philippe, ancien amant de Constance, ou ceux de la boîte de nuit, accompagnés d’une musique électronique, qui évoquent la colorimétrie et l’atmosphère des thrillers des années 1980. Pourtant, dans son jeu absolu de justification scénaristique, la reprise de certains effets côtoie la perversion parodique, sans pour autant négliger l’inquiétant, essence même du genre. Cet équilibre entre drôlerie et sueur froide passe ; dans l’écriture, par des touches d’étrangeté et d’insolite (la voiture équipée en néons par exemple, l’employée modèle et élégante, rivale de Constance, qui vient au travail en scooter puis en vélo), et dans l’interprétation, par le numéro étonnant de Marina Foïs, entre gravité, légèreté et spontanéité.
Monstre magnifique
D’emblée, le corps svelte de la comédienne contraste avec son visage amaigri et fatigué, symbole d’une monstruosité intériorisée et camouflée par une enveloppe attrayante. Corps énergique et pétulant, Constance gagne en jeunesse à mesure que le film avance, en témoigne la séquence du retour à la maison d’enfance, où le personnage essaye ses vêtements d’adolescence. Cette hyper-activité se traduit notamment par des réactions purement infantiles et immatures, comme couper la parole, montrer des signes d’impatience ou encore agir sur un coup de tête.
Constance a en réalité quelque chose de surnaturel, et le cinéaste la met parfois en scène comme un simple reflet fantomatique, silhouette flottante et menaçante qui hante les différents espaces. Dans la séquence de la boîte de nuit, les miroirs enchevêtrés des toilettes témoignent de la multiplicité de son visage et de sa personnalité. Cette pluralité des reflets finit alors par rendre obscure son identité réelle, et mieux encore, ébranler les certitudes que l’on aurait pu avoir à propos d’elle. Sans reflet propre, le personnage s’apparente finalement à un vampire, drainant l’énergie de tous ceux qui la côtoient, ce qui concorde avec l’atmosphère fantastique et inquiétante du film. Sa jeunesse éternelle, son physique qu’elle entretient chaque jour dans un souci de perfection, son énergie incroyable, son impulsivité, Constance les tire des autres, de la mère malade dans son lit d’hôpital, de sa rivale, de son ancien amant, de tous les personnages secondaires.
Le qualificatif d’irréprochable ne sert pas uniquement, avec ironie, la monstruosité camouflée de son personnage principal, mais plutôt l’implacabilité de la construction du récit. Pour son premier long-métrage, Sébastien Marnier ne tâtonne pas, il impressionne au contraire par sa maîtrise du rythme et des émotions des comédiens, pris pourtant dans l’exercice difficile des genres où le cliché est souvent à portée. Les effets de style et les intentions sont suffisamment limpides et sobres pour susciter l’effroi recherché dans la composition du portrait de son personnage principal sans paraître totalement risible. Dans ce numéro d’équilibriste, entre respect d’un certain classicisme et goût iconoclaste, entre drôlerie et horreur, entre émotions brutales et froideur, le film tient sa réussite.