Résolument indépendant, J’ai toujours rêvé d’être un gangster emprunte des chemins de traverse trop rares dans le septième art hexagonal. Réunissant « toute la jeune garde du cinéma français » (Rochefort, Kalfon, Dumas, Terzieff…) autour d’un couple d’anti-Bonnie and Clyde (Mouglalis et Baer), le film propose en quatre sketches une plongée à la fois contemporaine et nostalgique dans l’univers de personnages se rêvant autres. Sur un ton très personnel, une comédie absurde, réjouissante et rafraîchissante.
« Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être un gangster… » Ray Liotta, au début des Affranchis (Scorsese, 1990). Cette phrase, parmi beaucoup d’autres, a influencé le cinéaste qu’est devenu Samuel Benchetrit, et le départ de son deuxième long-métrage. Films noirs, de gangsters, de voyous et une certaine idée du cinéma italien des années 1960 ; le noir et blanc, les petites gens, l’envie d’un cinéma populaire et familial exigeant : voilà toutes les influences réunies dans J’ai toujours rêvé d’être un gangster.
Le film aurait pu s’appeler, de l’aveu même de son réalisateur, « j’ai toujours rêvé de m’en sortir », ou encore « j’ai toujours rêvé de réussir ma vie ». Il s’intéresse à des « petites gens », des personnages attachants désireux de s’offrir une belle vie. J’ai toujours rêvé d’être un gangster s’articule autour de quatre épisodes, dont les titres même participent de l’ambiance décalée du film et dont tous les personnages se retrouvent à un moment donné dans la cafétéria où travaille Anna Mouglalis. Drew Barrymore fait penser à un hamburger (épisode 1), plante le décor, avec un Edouard Baer en risible braqueur raté de la cafétéria, sans flingue, voiture pourrie et collant sur la tête. L’épisode 2, Pourquoi tu veux mourir, petite ? met en scène deux kidnappeurs belges (drôlissimes Bouli Lanners et Serge Larivière) : manque de pot pour eux, la jeune ado (prometteuse Selma El Mouissi) qu’ils veulent échanger à son riche père contre rançon, est suicidaire. Invités surprise du film, Alain Bashung et Arno dans un échange quasi surréaliste dans l’épisode 3, Oh, Gaby ! Le réjouissant dernier épisode, C’est fou comme tout change, réunit Rochefort, Kalfon, Dumas, Terzieff, Venantini, bande de copains lancés dans le pari d’un dernier braquage, en souvenir du bon vieux temps, un peu comme on joue aux cow-boys et aux indiens.
J’ai toujours rêvé d’être un gangster n’est pas un film de gangster, mais un film sur les rêves et les fantasmes de héros ordinaires, d’anti-héros même. Sur leurs rêves d’être de vrais héros, des stars de cinéma, ou simplement de réussir, financièrement, socialement, affectivement. Avec ce film, Benchetrit nous joue une petite musique très personnelle, remplie d’influences qu’il a ingurgitées pour les resservir à sa sauce. Une œuvre inspirée du grand cinéma populaire et néoréaliste des années soixante italiennes, comédie décalée, sans moquerie, où l’on sourit des personnages avec tendresse. On y trouve aussi un petit quelque chose de Tarantino, avec ce décor de no man’s land de la banlieue parisienne qui rappelle immanquablement quelque motel ou quelque restaurant de bord de route américain. Une inspiration qu’on retrouve aussi dans la bande son très travaillée, entre folk, vieux rock et musique classique, et dans l’utilisation même de cette musique, parfois distordue, parfois étouffée. Un côté série B mis en valeur par le décor et le côté clowns malgré eux des personnages. Un hommage aussi, d’une certaine façon, à La Haine (1995), version comédie tirant sur l’absurde, dans ce que ce film dit de la banlieue et de ses changements, de sa violence aussi : aucune violence brute ici comme dans le film de Kassovitz, mais la violence du sens perdu des choses, la violence du constat que certains restent sur le bord de la route. Drôle, tendre et fin, toujours personnel, le deuxième film de Benchetrit surfe sur un ton absurde qui possède aussi quelque chose d’un C’est arrivé près de chez vous (Belvaux et Bonzel, 1992), et peut-être plus encore des Convoyeurs attendent (Benoît Mariage, 1999).
J’ai toujours rêvé d’être un gangster a été tourné avec très peu de moyens, par la volonté même de Samuel Benchetrit qui voulait ainsi s’offrir une liberté, tout en soignant son esthétique. Tourner « à l’ancienne », en noir et blanc et en format 1.37, avec un rythme propre, plus lent, dans lequel un plan séquence sur des acteurs de dos est possible. Un film anti-télé qui ne ressemble à aucun autre en même temps qu’il est un hommage au cinéma tout entier, de Chaplin à Tarantino en passant par De Sica. On en redemande.