Tom Cruise et sa productrice Paula Wagner ressuscitent le film de « vigilante », dérive ultra-droitière du film noir qui aurait mieux fait de rester cantonnée à Charles Bronson et aux années 1970.
Un bon film peut donner de mauvaises idées. Le succès de Drive a rappelé que le film noir urbain pouvait toucher le public. Christopher McQuarrie en a tenu compte en reproduisant point par point le système de fabrication. Il adapte un roman noir, One Shot de Lee Child, comme Drive se basait sur le livre de James Sallis. Son héros porte un blouson en cuir moulant, et une scène de poursuite au volant d’une voiture de sport clinquante est le clou spectaculaire du film.
Malheureusement Lee Child n’est pas James Sallis, et l’histoire tient du mauvais téléfilm, avec méchants russes, avocate sexy et policiers corrompus. Christopher McQuarrie n’est pas non plus Winding Refn. Les premières scènes peuvent donner le change. Froides, précises, avec une séquence de sniper efficace et glaçante, elles captent l’attention du spectateur à peine assis. La suite est beaucoup plus convenue. À l’exception d’un échange entre Tom Cruise et Robert Duvall, de la présence toujours aussi magnétique de David Oyelowo après sa découverte dans Paperboy, et de l’étrange apparition de Werner Herzog, où à chaque fois l’écran se met presque à vibrer comme quoi le talent peut éclairer le plus obscur navet, le reste du film tient du programme enchaînant les rebondissements sans âme.
Le film comporte quelques gros accidents artistiques. La prestation de Rosamund Pike est catastrophique. Cadrée tout le long du film au ras du décolleté, elle délivre une interprétation digne d’un soap opera avec force mimiques et effets de manche. Même Tom Cruise semble gêné par le jeu de sa partenaire qu’on espère ne plus revoir de sitôt sur grand écran. De même les dialogues sont d’un pénible rare, se basant sur le principe de la vanne permanente, un procédé très américain mais poussé ici à l’extrême ce qui devient des plus lassants au fur et à mesure que l’histoire avance, comme si l’autodérision postmoderne permettait de justifier la minceur psychologique des personnages et l’inanité d’un récit purement et simplement invraisemblable.
L’échec fait partie de la création cinématographique, et que Jack Reacher soit un mauvais film n’est pas grave en soi, tient vraiment de l’anecdote, il y aura d’autres longs métrages ratés et chaque mercredi l’offre est suffisamment variée pour contenter le cinéphile. Ce qui est plus gênant est l’idéologie véhiculée. Christopher McQuarrie met en avant un « vigilante », héros solitaire forcément héros de guerre prônant la justice individuelle face à un État si ce n’est corrompu, en tout cas trop faible pour protéger la veuve et l’orphelin. Ce genre avait eu quelques résurgences avec Tony Scott notamment. Mais là le propos ne se cache plus derrière des afféteries de « pubeux ». Le grand méchant se retrouve exécuté en fin de parcours d’une balle dans la tête, et une dernière scène abjecte indique que Jack Reacher ne va pas s’arrêter là et poursuivre son parcours de vengeur anonyme.
Pur exercice de style, Drive se trouve mal copié, c’est évident, mais pas forcément dénaturé. La beauté des plans et la musique de Kavinsky cachaient mal une esthétisation de la violence assez contestable. Dans les prochains projets de Winding Refn se trouve l’adaptation au cinéma de la série télévisée Equalizer. Là aussi, sous les traits de l’excellent Edward Woodward, il était question d’un « vigilante », ancien héros de guerre là encore, qui venait en aide aux victimes par l’intermédiaire de petites annonces. Cet Equalizer n’était pas certes un exécuteur à la Jack Reacher, mais la maîtrise formelle du réalisateur danois devra aider à pointer l’ambiguïté du fond. Charles Bronson et son justicier dans la ville usaient du médium cinéma pour véhiculer des idées plus que nauséabondes, le remettre de manière récurrente au goût du jour serait un bien désagréable retour en arrière.