Un film de Pierre Jolivet n’est jamais banal et sa filmographie oscille entre la comédie satirique, le drame psychologique, le fantastique, le mélodrame, le film historique, le polar : Le Complexe du kangourou (1986), Force majeure (1988), Simple mortel (1991), Fred (1996), En plein cœur (1998), Ma petite entreprise (1999), Le Frère du guerrier (2001), Filles uniques (2002) et Zim & Co. Pierre Jolivet est ainsi un touche-à-tout imprévisible et cette imprévisibilité désoriente quelques fois un public au vu de ses petits films sans prétention, ses jolis navets, ses étonnants éclats. Je crois que je l’aime est forcément de cette veine : entre moments de grâce et clichés incontournables.
Lucas (Vincent Lindon), un riche industriel divorcé et père d’un garçon de 12 ans, tombe sous le charme d’une célibataire artiste, Elsa (Sandrine Bonnaire) qu’il vient d’embaucher pour créer une fresque en céramique sur le sol de son entreprise. Il convoque derechef sa secrétaire et son détective privé (François Berléand), et leur annonce qu’il n’est pas exclu qu’il tombe très très amoureux : la bonne marche de l’entreprise va ainsi en être bouleversée. Cependant, de crainte de ne pas savoir faire confiance et d’essuyer une énième déconvenue, il demande à l’inénarrable François Berléand d’espionner la toute belle. Micro, caméra, toute la modernité au service du riche Lucas pour mieux cerner sa douce Elsa.
Connaître la femme avant de s’engager pour que l’homme ne souffre plus est l’impertinente et machiavélique machination qui sous-tend Je crois que je l’aime. Une illusion forcément et férocement : gare aux micros lorsque finalement Elsa a vent de ce drôle d’espionnage… Les seconds rôles, François Berléand, Guilaine Londez, Liane Foly (sa première apparition au cinéma et avec accent québécois qui plus est), Albert Dray sont impeccablement au service de Sandrine Bonnaire et de Vincent Lindon, acteur fétiche de Pierre Jolivet. Ce dernier a le souci d’espérer approcher au plus près du caractère de son homme, Lucas, et tend encore une fois à Vincent Lindon un rôle de puissant, somme toute, fragile.
Entre bons mots et drôleries de situation, le scénario est lui aussi bien mis en valeur. Malgré certaines séquences débordantes de clichés, attendues et parfois décevantes (notamment les explications sur la symbolique de la céramique), les effets de surprise ont l’art de nous rallier toujours à la cause du cinéaste. C’est dire que malgré une trame narrative qui se devine très rapidement, les scènes elles-mêmes captent l’attention grâce au perceptible engouement des acteurs, à la mise en scène comique. Car mise en scène il y a et Pierre Jolivet sait autant faire attendre le bon mot qu’utiliser le corps de ses comédiens. Il les place d’ailleurs dans un lieu de passage, le hall de l’entreprise Opten où Elsa pose ses céramiques et construit une halte créatrice. Lucas doit ainsi se pencher du troisième étage intérieur pour fondre sur les courbes de la charmante et passe une bonne partie du film à descendre, monter, descendre, monter, regarder. Et lorsqu’ils sortent ensemble, tentent de s’apprivoiser, les éléments autour d’eux (téléphone portable, chaise, chat, …) les dévient toujours de leur préoccupation première.
Certes, du cliché, de la caricature par moment, des séquences explicatives inutiles, un peu idiotes, et d’autres défauts, mais ce Je crois que je l’aime a le mérite d’être naïvement touchant et de posséder par éclats quelques moments de grâce.