Le titre apparaît en grosses lettres, blanches sur fond noir. Le casting principal également, avec la même typographie. À plein régime, la musique pulsée de DJ Chloé enfonce le clou. Qu’on ne s’y trompe pas, on est là devant un film qui va chercher la victoire par KO.
Et le contrat est respecté du point de vue de l’intensité. Emmanuel Finkiel nous livre l’âpre portrait d’un loser, Eddie, qui pour une raison que lui seul comprend accuse faussement un jeune homme d’avoir participé à sa bien réelle agression. Il se noie dans ce mensonge, maintient coûte que coûte sa version erronée, jusqu’à imploser sous le poids de la culpabilité d’avoir traîné un innocent devant la justice.
Dans la peau d’Eddie, Nicolas Duvauchelle livre une prestation saisissante. On retrouve l’un des points forts d’Emmanuel Finkiel déjà à l’œuvre dans Nulle part, terre promise : sa direction d’acteurs précise qui cherche à faire surgir l’émotion sur le visage de ses comédiens plutôt qu’à empiler les scènes de dialogue.
La fenêtre d’en face
L’autre talent du cinéaste est sa capacité à rendre compte de l’espace, à englober tout un environnement dans le cadre. Dans Je ne suis pas un salaud, une figure récurrente revient de scène en scène : la façade de l’immeuble en face de celui d’Eddie. La vision est stylisée. Les appartements en vis-à-vis ont une couleur caractéristique – bleue, jaune, rouge… – en fonction de l’éclairage de la pièce ou de la couleur des rideaux. Par surimpression, cette façade éclairée se réfléchit sur la baie vitrée de l’appartement d’Eddie, comme si elle l’englobait, le phagocytait.
Malheureusement, si la forme du film est réussie, le fond pose problème. Le récit est toujours ramené à une dimension sociale assez lourde, presque martelée. Le rapport qui se crée à Eddie est ainsi de l’ordre du compassionnel. Le personnage s’exprime d’ailleurs à de multiples reprises dans le registre de l’excuse. « Je suis désolé », dit-il à l’hôpital quand il reprend connaissance après son agression. Tout ce qu’il touche, il le rate, consciencieusement. Et le film nous dit combien ce n’est pas vraiment de sa faute : il est la proie d’un système économique sans âme. D’abord au chômage, il devient au cours du film cariste dans l’entreprise de Karine, un magasin de déco façon IKEA, où celle-ci se fait draguer par son patron. Plus tard, Eddie demande à ce supérieur à pouvoir devenir vendeur, son métier de formation, mais se fait méchamment rabrouer, humilié une énième fois.
L’entourer d’une femme aimante (intéressante Mélanie Thierry) et d’un enfant qui l’idolâtre procède quelque part du même procédé appuyé et sentimentaliste. Car ce ne sont pas vraiment des personnages indépendants, qui donnent une profondeur au récit, ou qui font office de contrepoints. Ils sont tout entier tournés vers Eddie, seulement décrits dans la relation qu’ils entretiennent avec lui, secondaires au point qu’ils en seraient presque coupables de ne pas comprendre combien il souffre. Le symptôme utilitaire est encore plus criant pour le personnage Ahmed — le jeune homme désigné par Eddie comme étant son agresseur. L’injustice qu’il subit devrait émouvoir, mais malheureusement il existe sans exister, faute de trouver une vraie place dans le récit. Il a quelques scènes à lui tout seul, cependant elles ne délivrent que peu d’informations sur qui il est, et ne font que peu nous attacher à lui.
Effet de recul
Le dernier quart d’heure pose davantage encore question. Le rapprochement qui se crée avec l’actualité récente – les attentats du 13 novembre – crée un vrai effet de recul, une gêne. On constate que cet épilogue s’inscrit en droite ligne de ce qui précède, et là se noue une plus profonde crispation. C’est comme si le film nous avait pris au piège, par l’interprétation intense de son acteur principal, par sa maîtrise technique, pour nous conduire à ce mouvement terminal sanglant infiniment contestable.
Je ne suis pas un salaud a tendance à asséner la description d’une violence sociale en cours, alors que ce qui nous passionne, c’est de suivre un Eddie incapable de ne pas passer à côté de sa vie. Il y a maldonne. Et le tout dernier plan sur le jusqu’ici fantomatique Ahmed ne fait que renforcer cette impression de malaise. Filmé au travail, dans un emploi précaire, il n’accède toujours pas à être autre chose qu’un outil de dénonciation. Puis vient le générique de fin, grosses lettres noires sur fond blanc, trop binaire.