Le titre du second métrage de Thierry Jousse ne va pas sans la figure lunaire qui lui prête corps : le chanteur Philippe Katerine. Ici de tous les plans, on pourrait s’interroger sur les vraies intentions d’un film qui risque de faire choux gras d’un personnage aussi hype et coté. On passera sur ce point pour évoquer une comédie fourre-tout, légère qui, si elle se contente du minimum syndical, reste portée par une drôle de sincérité.
Amis et collaborateurs de longue date, Philippe Katerine et Thierry Jousse se connaissent et s’apprécient mutuellement depuis longtemps. Suivant l’emploi du temps assez rempli de l’un, l’autre à imaginé un scénario qui s’amuserait de la biographie du loufoque garçon. Ainsi, l’histoire d’un chanteur qui au cours d’une tournée en province voit son existence bousculée par un retour fortuit à la case familiale. Comme un mix entre Un jour sans fin et Big, Philippe atterrit par mégarde chez ses parents et est réveillé un beau matin par sa mère dans le lit où il a grandi. Alors qu’il a coupé les ponts avec sa famille, le chanteur est obligé de renouer avec ses proches d’alors. L’affaire se corse quand Philippe veut rejoindre sa tournée et qu’il est empêché, par une frontière toute bunuelienne, de quitter physiquement son village natal. Philippe va devoir s’accommoder de cette infranchissable barrière qu’il considère au départ comme une malédiction.
L’astuce du film de Thierry Jousse tient à son refus de montrer Philippe Katerine chanter sur scène. L’ellipse entre l’arrivée sous les projecteurs du chanteur et son retour en coulisses est censée flouer la part biographique, quasi documentaire du film. Alors que l’intention voudrait que Katerine passe pour un chanteur lambda (appelé Philippe), on a forcément du mal à ne pas rattacher ce dernier à son nom et sa figure (voir le costume de la tournée « Robots après tout »). L’intérêt du film se situera donc dans cet entremêlement de vrai et de faux qui s’insinue quelque part entre la célébrité actuelle et le passé anonyme de Katerine.
Ainsi, d’une séquence franchement drôle où Philippe est fait prisonnier d’une groupie érotomane à son échappée forestière digne de L’Homme qui venait d’ailleurs, le film va d’abord jouer de l’absurde et d’un précipité d’événements qui dépassent son héros. Katerine l’acteur distille ici un burlesque dont on sent qu’il est chez lui (ses chansons l’attestent) un acquis inné. Ce burlesque né le plus souvent de cette nature instable qui l’empêche, comme le gros nounours qu’il est, de se fondre correctement dans le monde. Aussi il est clair que la part d’enfance enfouie chez ce drôle de loustic décline un goût du jeu qui confine souvent à une fantaisie rigolarde (le corps d’un homme, plus encore celui de Katerine, glissé dans des habits d’enfant reste ce genre de gag impérissable).
Après, la logique linéaire de Je suis un no man’s land convainc peu. De ces rencontres accumulées en blocs trop perméables, le film se fait souvent sketchs à force d’abuser de ruptures et de se perdre dans un mélange des genres. Il risquera surtout de déjouer les attentes du fan de Katerine puisque l’on n’y rit jamais vraiment à gorge déployé. Le ton penche plutôt vers la mélancolie au travers cet air indécis et flottant (superbe musique vaporeuse et synthétique) qui condense bien ce retour aux origines et aux responsabilités que Philippe tente à tout prix de fuir. Même si on trouve d’amusantes captures où Katerine, en roue libre, joue seul au basket dans sa cour, ce sont les scènes, douces-amères, où ce dernier est confronté à la vieillesse de ses parents qui affichent le plus de tenue. Pourtant pas très bavard, le couple de parents interprétés par Jackie Berroyer et Aurore Clément dégagent une profondeur (une autonomie) jamais vraiment autorisée(s) aux autres personnages (voir le calque Philippe/Depardieu) qui sont étouffés par la figure de Katerine.
En dépit de ces bons moments, Je suis un no man’s land peut laisser sec sur la durée. Et contrairement au bon souvenir que nous avait laissé Les Invisibles, Thierry Jousse a mis en place un dispositif aléatoire, parfois brouillon, dont les grandes carences rythmiques finissent par produire une vision distancée. Je suis un no man’s land rejoint donc ce genre de films typiquement instables, dont l’ambition minime empêche la totale adhésion. Du reste et alors que la fantaisie est rattachée à une avalanche d’effets ou à la nature onirique du cinéma d’animation, il est agréable de la voir ici flotter jamais très loin de la terre.