Je suis un soldat ne va pas révolutionner le cinéma d’auteur français. Il revêt quelques-uns de ses aspects les plus classiques. Tout comme Maryland d’Alice Winocour, le long-métrage de Laurent Larivière est un film à sujet. Il n’est pas question ici de guerre en Afghanistan ou d’autres questions de géopolitique, mais de trafics de chiens, ce qui a l’avantage de l’originalité, vu qu’en l’occurrence ce thème n’a que peu été traité en fiction. C’est d’ailleurs cette partie documentaire qui est la plus intéressante de Je suis un soldat. Les échanges d’argent, beaucoup d’argent puisque le business est décrit comme des plus lucratifs, le vétérinaire véreux qui trafique les papiers des animaux, les douanes qui tentent de juguler le trafic et d’en arrêter les participants, les chenils peu regardants sur la provenance des animaux, les chiens traités comme de purs objets… Tout y est, peut-être un peu trop d’ailleurs, puisque le descriptif tend vers l’exhaustif.
Un scénario empesé
C’est toujours le souci majeur de ce type de films à thématique forte. Par effet boomerang, bien que l’aspect documentaire fascine, la narration ploie inévitablement sous le poids de la description minutieuse du milieu étudié. Il y a un aspect sociologique qui tue à mesure de l’avancée du film toute dramaturgie. Je suis un soldat n’arrive pas à éviter cet écueil. Il faut dire que Laurent Larivière choisit comme angle d’attaque un personnage féminin (interprété par Louise Bourgoin) qui plonge dans l’illégalité par une situation personnelle marquée par le chômage et par le fait que sa famille vit plus ou moins directement du commerce illégal de chiens (avec son oncle incarné par Jean-Hugues Anglade comme chef de réseau). Toutes ces strates successives de dramaturgie plombent le récit. D’autant plus qu’il y a en outre l’évocation – certes rapide – d’une histoire naissante entre la novice et le vétérinaire véreux. Comme beaucoup de premiers longs-métrages hexagonaux, Je suis un soldat s’en trouve sur-écrit, multipliant les couches de récit sans en traiter véritablement aucune, additionnant les personnages en donnant l’impression de les restreindre à de pures fonctions (la mère, le frère, le trafiquant à la longue veste en cuir…).
Vis-à-vis des critères de faisabilité d’un long-métrage en France, pour que les financiers se placent sur le projet afin qu’ils puissent être transformés en film, on a tout ce qu’il faut – des objectifs concrets aux personnages, des antagonistes clairs, des rebondissements (la mort d’un lot de chiots, l’opération de police…) –, mais le tout dans une démarche finalement très scolaire de rendre un film cohérent (ce qui est déjà bien) mais malheureusement trop sage. À chaque fois que Je suis un soldat tente la sortie de piste, à allonger les séquences pour créer une intensité, à passer le temps d’une scène dans l’onirisme, ces tentatives paraissent incongrues. On est loin de la médiocrité d’un téléfilm, mais il semble impossible pour Laurent Larivière d’aller vers plus de frontalité, à nous faire voir des qualités spécifiques d’auteur, à comprendre ce qu’il veut véritablement nous montrer, si ce n’est une dénonciation convenue des effets dévastateurs du libéralisme. Pour preuve, le long-métrage semble ne pas savoir quelle fin choisir à son histoire, empilant les scènes pour boucler un récit qui n’a pas de conclusion logique car dépourvue de vrai fil directeur (toujours ce poids du sujet qui s’auto-suffit et ne permet pas de tracer une évolution nette d’une trajectoire humaine).
Qualité de jeu et de la photographie
Si Je suis un soldat n’est pas sans défauts, il n’est pas non plus sans qualités. La première est sans doute la photographie de David Chizallet (déjà remarqué ces derniers mois pour son travail pour Mustang et Les Anarchistes). Elle magnifie certaines séquences (une traversée d’autoroute de nuit…) avec une âpreté qui porte le long-métrage de Laurent Larivière, lequel démontre, lui, des qualités de bon faiseur. La deuxième est la qualité de l’interprétation liée forcément à la direction d’acteurs. Si Louise Bourgoin réalise une prestation en demi-teinte, pleine de justesse dans certaines scènes mais au jeu dissonant dans beaucoup d’autres, les moins bien écrites comme s’il était incapable de renverser des situations trop chargées, Jean-Hugues Anglade est assez impressionnant. Depuis L’Homme blessé, ou La Reine Margot, il est l’un des rares acteurs français à savoir jouer de son corps tout autant que de son visage. Dommage qu’il soit assez largement sous-employé et cantonné dans des polars obscurs ou dans des séries de seconde zone, son charisme n’étant pas si fréquent.