En France, le film dit « choral » est depuis quelques années un genre incontournable de la production grand public. De l’ancêtre Claude Lelouch à Danièle Thompson, de l’inénarrable Nicole Garcia et son Selon Charlie trucidé à Cannes il y a quelques années au succès-surprise du Premier Jour du reste de ta vie l’été dernier, les comédies sentimentalo-dramatiques avec plein d’acteurs connus dedans n’en finissent pas d’attirer scénaristes, réalisateurs, producteurs et comédiens. La plupart du temps, l’inspiration est anglo-saxonne et Je vais te manquer, tout comme Modern Love l’an dernier, vise rien moins que les œuvres de l’un des maîtres du genre, le Britannique Richard Curtis, scénariste-producteur de Quatre mariages et un enterrement et Coup de foudre à Notting Hill et réalisateur de Love Actually. Sans jamais lui arriver à la cheville.
Qu’on adhère ou qu’on déteste, Love Actually est la somme assez sidérante du savoir-faire incontestable d’une véritable machine de guerre qui aurait remplacé le plomb par le sucre. Bourré de bons sentiments, volontairement outrancier dans ses parti-pris scénaristiques et ses chassés-croisés sentimentaux, Love Actually ne prend pas de gants et ne cherche même pas à s’en excuser. C’est précisément cette joyeuse arrogance qui fait cruellement défaut à Je vais te manquer, premier film de l’écrivaine Amanda Sthers : incapable de se donner les moyens de ses ambitions, la réalisatrice novice s’enlise dans les stéréotypes les plus bêtasses et la niaiserie la plus affligeante.
Beaucoup de personnages pour pas grand-chose : un écrivain aigri et cynique (Pierre Arditi), obsédé par les ventes de ses livres, se complaît dans sa solitude ; une femme atteinte d’un cancer (Carole Bouquet) décide d’aller mourir seule au Québec, tout en faisant croire à ses filles fâchées (Mélanie Thierry et Cécile Cassel) qu’elle part pour un simple voyage ; un jeune papa divorcé (Patrick Mille) cherche l’amour sur les conseils de sa petite fille, qu’il doit renvoyer chez sa mère au… Québec (tiens, tiens); un vieil homme excentrique et veuf (Michael Lonsdale) doit retrouver son amour de jeunesse (Monique Chaumette), exilée au… Québec (re-tiens, tiens); une jeune et jolie célibataire (Anne Marivin) fait une dernière teuf avec ses copines avant de déménager au… Québec (re-re-tiens, tiens)… etc. Devinez un peu où tout cela mène nos personnages ? À Roissy, bien sûr, par une série de pirouettes invraisemblables qui font ressembler le film à un long spot de pub pour Aéroports de Paris.
A priori, on ne serait pas contre un peu de guimauve et d’humour fleur bleue entre deux Antichrist, mais encore faudrait-il éviter de prendre les spectateurs pour des abrutis. En partant de personnages archi-stéréotypés, Amanda Sthers reprend les codes du genre mais ne les amène nulle part, incapable de les prendre à rebrousse-poil, ni même de jouer avec : le scénario, au ras des pâquerettes, est tellement balisé que le spectateur garde, tout au long du film, quinze bonnes minutes d’avance sur son déroulement. Visiblement amoureuse des bons mots, Sthers ne peut pas s’empêcher d’enquiller les répliques improbables dans la bouche de ses personnages (exemple, Pierre Arditi à Carole Bouquet : « Je suis encore une belle pomme. » Réponse : « Du coup, vous cherchez une bonne poire. » Ah ah !). Difficile alors de s’attacher à ces grossiers pantins à peine mieux esquissés que dans une mauvaise sitcom : malgré toute la bonne volonté des comédiens (certains s’en sortant fatalement mieux que d’autres), on repense avec un peu de peine au sourire craquant de Keira Knightley dans Love Actually en se disant que la pauvre Anne Marivin (repérée chez Les Ch’tis) est encore loin du compte.
Tout cela resterait relativement inoffensif si Sthers ne se permettait pas, en outre, d’agrémenter son propos rose-bonbon de réflexions plus sérieuses sur l’immigration ou le suicide. Et là, ça coince : pour offrir à un personnage de sans-papiers un destin de conte de fées qui se termine par un plan de carte postale sur les Champs-Élysées, il faut non seulement beaucoup de culot, mais surtout une sacrée finesse, ce dont Amanda Sthers manque cruellement… À peine esquissé, le jeune héros sénégalais apparaît comme la caution intellectuelle et maladroitement engagée au propos positiviste du film. Il en ressort hélas la désagréable impression que la réalisatrice tente de se donner bonne conscience. Le sentiment est d’autant plus fort que, pour conclure son film sur une note poétique, Amanda Sthers s’embourbe dans un romantisme de pacotille qui mêle de façon douteuse le retour à la nature et le suicide, comme si le geste de son héroïne résignée pouvait trouver une forme acceptable dans un emballage digne d’un dépliant touristique. Trop, c’est trop : l’abus de sucre donne sacrément la nausée…