Pour son second long métrage, Christian Carion nous propose une rencontre miraculeuse sur le champ de bataille comme sur le plateau de tournage. Malgré sa tendance au sentimentalisme, cette célébration de ce qui unit les hommes au-delà des contingences apporte un peu de chaleur au cinéma européen.
Hiver 1914. La Grande Guerre s’enlise dans les tranchées. Dans un champ glacé du Nord, Français, Écossais et Allemands s’épient. À la veillée de Noël, le chant nostalgique des cornemuses s’échappe des souterrains tandis que le Lied d’un ténor berlinois se répand dans la nuit. Bientôt les deux mélodies s’harmonisent, et les soldats sortent pour se rencontrer. Les ennemis stratégiques se reconnaissent frères de guerre.
Est-ce la photogénie des uniformes garance et marine ou l’extinction inexorable des derniers poilus ? En tout cas, depuis quelques années, la Première guerre mondiale s’affiche volontiers sur les écrans. François Dupeyron dans La Chambre des officiers (2001) nous faisait partager la souffrance intolérable des « gueules cassées », alors que Jean-Pierre Jeunet dans Un long dimanche de fiançailles (2004) décrivait l’extrême misère des soldats.
Parce que la guerre reste une machine à broyer les êtres, Joyeux Noël n’épargne pas les images-chocs. Il nous rappelle par exemple que dans le no man’s land gisent les corps sans vie d’anciens camarades à qui il est interdit de donner une sépulture. Une recrue en permission repousse l’étreinte de sa belle parce qu’il a des poux : euphémisme efficace qui souligne la dureté poisseuse de la vie dans cet autre monde. Mais comme le film se veut optimiste, il ne s’interdit pas quelques notes de dérision. Ainsi ces pancartes, d’autant plus drôles qu’elles apparaissent en arrière-plan, indiquant dans le camp écossais « Frog Land, 5 feet », et dans les tranchées françaises « Rosbif Land, 2,5 mètres ».
Dans le film de Carion, pas d’effet de narration, pas de prouesse stylistique, pas de plaisir formel. Facilité ? Peut-être, mais dans ce qui se présente comme un conte à visée universelle, jouer la carte de la transparence est sans doute un choix judicieux. Une telle histoire, dont la force est qu’elle est tirée de faits réels, mérite qu’on lui laisse le champ émotionnel tout entier. Problème : à tout miser sur le scénario, les dérapages sont d’autant plus dangereux. Puisque c’est le jeu, on se laisse sincèrement aller à verser une larme lors de la première scène de fraternisation. Mais trop souvent répété, l’effet perd de son authenticité, on égare la finesse, et l’on coule dans la sensiblerie. Le pas est franchi, dommage, on n’y croit plus.
Il n’en reste pas moins que le projet est ô combien louable. Dénoncer l’absurdité de la guerre, célébrer le sentiment profond d’humanité qui relie malgré tout les ennemis, prévenir contre les discours biaisés, chauvins, à tendance intégriste… Carion, en tant qu’artiste, fait son travail. Il réussit même ‑et c’est là l’intérêt supérieur de son film- à perpétuer l’esprit de ce Noël 1914. Les temps ont changé : les alliances militaires cèdent leur place aux accords financiers. Tour de force du producteur de Nord-Ouest, Christophe Rossignon, et de tous ceux qui ont réussi à monter une telle co-production, qui réunit des deniers des quatre coins de l’Europe. De même, sur le champ de bataille comme dans celui de la caméra, plusieurs nationalités se sont rencontrées. Qui eût cru qu’un jour un « Ch’ti » comique du Nord reluquerait la belle échappée de Troie, et que le père de Billy Elliot parlementerait avec le fils de Good Bye Lenin ! et le hippie de Narco ? Par ce rendez-vous d’acteurs, ce sont différents cinémas qui se télescopent d’abord, puis s’enrichissent et se nourrissent mutuellement pour mieux raconter une Histoire qui s’enracine dans les terres européennes. « Unis dans la diversité », quoi.
La musique, le vin, le foot et partant le cinéma. N’en déplaise aux rabat-joies, il est utile de se souvenir qu’il existe des raisons de s’entendre. Reste à savoir si ce discours pacifique trouvera un écho aux États-Unis où Joyeux Noël concourra dans la catégorie « Meilleur film étranger » des Oscars 2006.